Les grands feux de l’été 2022 ont mis en lumière le travail exceptionnel accompli par les sapeurs-pompiers et l’importance de leur présence, de leurs équipements, de leur entraînement et de leur disponibilité. Pompier, c’est un métier de rêve pour les petits et certains grands. Héros modernes, au cœur de l’imaginaire collectif, ces professionnels œuvrent au service de la sécurité des usagers en milieu urbain, à la campagne ou en haute montagne, ils affrontent les éléments, exécutent les premiers gestes de secours, ils rassurent, ils sauvent des vies.

Pourtant, leur organisation et leur mode de fonctionnement demeurent encore peu connus du grand public, en dehors des sirènes, de l’uniforme, des camions, du bal du 14 juillet et des grandes échelles, ou, plus tristement, de ceux qui ont eu à les solliciter.

C’est sous le règne du roi soleil que le premier service incendie a vu le jour en 1670 mais c’est en 1718, avec la nomination de François Dumouriez du Perrier, premier chef des pompiers, qu’est mis en place un budget annuel pour l’entretien des pompes et la rémunération d’un personnel. A Paris, un corps de gardes pompes civils de 60 hommes était créé par le Conseil d’État en 1722, balayé par le décret impérial du 18 septembre 1811. Napoléon, après avoir échappé de peu à un incendie lors du mariage de l’archi-duchesse Marie-Louise d’Autriche créait ainsi le premier corps professionnel de sapeurs-pompiers militaires, sous l’autorité du Préfet de police. C’est le seul corps de sapeurs-pompiers créé par Napoléon qui subsiste encore aujourd’hui et fait la particularité des pompiers de la capitale.

Initialement géré et financé au niveau communal (Loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale), la compétence pour la gestion des services d’incendie et de secours (SIS) a été transférée au département par la loi n°92-125 du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, créant ainsi les SDIS, établissements publics intercommunaux. Avec la loi n°96-369 du 3 mai 1996 relative aux services incendie et secours, dont les dispositions ont été intégrées dans le code général des collectivités territoriales (CGCT), les moyens humains, matériels et financiers des SDIS sont désormais essentiellement gérés par les départements.

En charge de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies, les services d’incendie et de secours « concourent, avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l’évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu’aux secours et aux soins d’urgence. (…) » (article L.1424-2 du CGCT)

La loi n°2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels dite « Matras » a notamment élargi leurs missions au « secours et (aux) soins d’urgence aux personnes ainsi que leur évacuation » également lorsqu’elles « présentent des signes de détresse vitale » ou « présentent des signes de détresse fonctionnelle justifiant l’urgence à agir » (article L.1424-2 4° du CGCT).

Pourtant, sollicités dans des situations de plus en plus dangereuses, face aux conséquences du réchauffement climatique ou encore à la désertification médicale, les conditions de travail des sapeurs-pompiers n’ont cessé de se dégrader. Dans une tribune Le MONDE datée du 20 janvier 2023 “Le système de financement des services départementaux d’incendie et de secours et sa gouvernance à bout de souffle“, le président du conseil départemental, le conseil départemental ainsi que le président du SDIS 58 dénonçaient la situation intenable des sapeurs-pompiers ruraux en raison de l’absence de soutien direct de l’État et du manque de moyens humains et de financement nécessaires à la réalisation de leurs nouvelles missions.

Le rapport sur le financement des SDIS remis par l’inspection générale de l’administration au Parlement le 27 janvier 2023 dans le cadre de la loi Matras précitée (article 54) fait ainsi état d’une augmentation accrue des dépenses depuis la départementalisation, en particulier des charges de personnel. A cet égard, le manque de bombardiers pour faire face aux incendies de l’été dernier dans la Gironde a illustré la gravité du retrait de la puissance publique dans ces services.

Face à l’augmentation des prérogatives dévolues et au désengagement budgétaire, selon l’adage « faisons plus avec moins », le système de sécurité civile français est à bout de souffle. Si la situation des services publics comme l’hôpital, la police et la justice est dénoncée depuis plusieurs années publiquement, il aura fallu l’apparition de catastrophes climatiques pour réaliser que les pompiers, eux aussi, étaient impactés par une dégradation de leurs conditions de travail.

Ajoutons par ailleurs à ces problématiques d’ordre systémique, des dysfonctionnements plus structurels liés au recul de la neutralité du pouvoir central et aux conflits politiques français somme toute assez classiques : le SDIS peut devenir, dans certaines situations et localités, l’expression d’une baronnie locale, le fusible éjectable situé entre le marteau et l’enclume, coincé entre les Préfectures et les départements, en clair, le symptôme de la décentralisation d’un État qui reste central.

Les situations de harcèlement moral y sont particulièrement nombreuses et de plus en plus dénoncées, non seulement du fait d’agissements interpersonnels mais aussi de nature plus institutionnalisée à l’encontre des lanceurs d’alerte qui dénoncent l’insuffisance de moyens tant en matériel qu’en effectifs, le non-respect du temps de travail, l’inadéquation des objectifs fixés pour le contrôle de la sécurité des bâtiments par rapport aux contraintes de terrain, où quand Paris, zone on ne peut plus urbaine, réfléchit en 2D par grand soleil, et impose ses statistiques d’intervention sur du 3D en haute montagne en pleine tempête de neige… Ce qui n’est pas sans rappeler par ailleurs les calculs statistiques de distribution du courrier à LA POSTE, quel que soit le dénivelé, l’âge du facteur ou le temps passé à discuter avec un senior (ce service étant proposé en forfait complémentaire)…

Quand l’organisation du travail est rythmée par les algorithmes, cela donne bien évidemment une sacrée cacophonie, tant le comportement humain est soumis aux aléas, les chaleurs caniculaires n’étant visiblement pas intégrées dans le big data. Entre autres.

Les SDIS illustrent ainsi le désengagement de l’État dans le service régalien et, sur ce sujet, pas de prestataire privé en vue. Effet ricochet de la désolation du système de santé, une “sur-sollicitation dans le domaine sanitaire” des SDIS, dont une augmentation de 10 à 15% sur les dix dernières années, selon le rapport précité. Ce dernier poursuit en précisant que ces interventions ne relèvent pas des urgences, mais de carences ambulancières et d’aides à la personne: “ces missions atteignent plus de 25%des interventions comptabilisées SAP (hors accidents de la circulation) et, depuis 2016 leur accroissement explique intégralement la progression du SAP. (…) De fait, après le temps de traitement de l’appel “18”, maintenu autour de deux minutes depuis plus de dix ans, le délai moyen d’arrivée des secours  (…) a connu, depuis 2016, un allongement d’environ 2 minutes qui mérite analyse“. (rapport page 6)

Les dysfonctionnements des SDIS illustrent ainsi l’enchaînement en cascade du démembrement du service public.

Faiblesse de l’hubris humain…la nature se rappelle ainsi à son bon souvenir…

Pour lire l’intégralité du rapport: Rapport-22015-Version-DEF SDIS

A lire, nos interventions au soutien de pompiers du SDIS

17 janvier 2023 – Condamnation du SDIS de SAVOIE pour harcèlement moral!

29 janvier 2023 – Lancer l’alerte au sein d’un SDIS: quand un pompier contre-attaque

 

 

AFP PHOTO / MARC LOUKACHINE / BSPP” –