« Si l’on veut affirmer la nature d’un homme à partir de sa physionomie, il faut tout prendre en compte ; c’est dans sa détresse que l’homme est éprouvé, car alors sa nature se révèle. »

Paracelse

Peut-on traiter un sujet aussi vaste que celui de la crise hospitalière sans se perdre par mille chemins de traverse bordés par une bureaucratie savamment orchestrée ? Curieusement, malgré les très nombreux rapports et ouvrages décryptant le phénomène, au point que l’on se demande ce qu’il serait encore possible d’en dire, l’opinion publique reste indifférente, la presse désabusée. Les personnels désespérés quittent l’institution progressivement, volontairement ou violemment. Sur le plan institutionnel rien ne bouge, les ministres se succèdent à une cadence effrayante : le navire a sombré dans une nuit abyssale.

Ce qui est perçu comme une sourde complainte devient totalement inaudible dans un monde strictement matérialiste : ce chant du désespoir est perçu comme une simple vulnérabilité, davantage encore dans les métiers du « care » dont la figure reste féminine, secondaire. Mais surtout, le soin ne prend part, veut-on faire croire, à aucune chaîne de production rentable, se bornant à recueillir les fragiles du système, les malades. En somme, le soin est une charge, pour ne pas dire un sacerdoce budgétaire, plutôt qu’une fierté.

L’une des hypothèses possibles à cette indifférence collective, qui résume par ailleurs le délitement programmé de l’État social, réside dans l’indifférence à l’autre, à sa santé, à sa dignité, au recul des questionnements éthiques et de l’empathie de nos sociétés, de sorte que tant que l’usager ne s’est pas confronté aux dysfonctionnements, peu lui importe. L’hôpital public s’engouffrerait ainsi dans le mal du siècle : l’individualisme.

Mais est-ce la seule explication ?

Et si le démantèlement de l’hôpital public ne servait pas plutôt à transférer dans le secteur privé un marché très juteux, celui de l’exploitation de la vulnérabilité et de la condition humaine ?

 

Il faut avouer que la matière est hautement complexe et technique, s’y plonger nécessite une sacrée énergie pour tenter de comprendre un domaine qui va des finances publiques à la médecine, en passant par le droit public ou encore le monde, complexe, de la recherche et de l’enseignement. Au milieu de ces images d’hospices délabrés, habités par des fantômes et des technocrates aux titres et responsabilités maintes fois remaniés trônent certains sur-êtres bravant toutes les réglementations, proches des grands industriels et de l’exécutif, prêts à tout pour pratiquer le transhumanisme, transformant les établissements de santé en lieux de pouvoir et d’expérimentation avec nombre de pratiques déviantes longtemps restées tues, questionnant la position du médecin, figure notable et toujours hautement protégée, se vivant comme le prolongement temporel d’un dieu pourvoyeur de vie ou de mort.

La crise sanitaire a ainsi mis en lumière la puissance des experts dans les cercles décisionnels mais aussi les dérives possibles par la marchandisation des corps et l’exploitation pécuniaire des accidents de vie[1]. De nombreux scandales de harcèlement moral et sexuel dont certains ont été judiciarisés permettent de commencer à lever le voile, difficilement, sur une culture professionnelle dont l’objet est la dignité humaine mais qui sait se montrer aussi d’une grande indignité dans son appréhension de l’humain par les gestes, le langage, la recherche, la pratique et le management.

Pour autant, le naufrage de l’hôpital public s’inscrit dans une mouvance généralisée de ce que certains auteurs qualifient de « destruction de l’Etat »[2] et de « casse du siècle[3] ». La parole publique des fonctionnaires est quasi inaudible car ils sont, de façon individuelle ou collective, broyés par l’indifférence si ce n’est le mépris savamment organisé d’une certaine classe politique à leur égard et sous la coupe d’une emprise tirée de l’instrumentalisation de leur devoir de réserve et de leur profond dévouement.

La presse grand public s’intéresse peu aux causes profondes de ce délitement. Récemment, surtout depuis la crise de la Covid-19, les médias se sont concentrés sur l’effondrement du service hospitalier sous l’angle des seuls usagers, dans une forme de sensationnalisme quant aux atteintes à l’intégrité de la personne, notamment dans les services des urgences, les EHPAD ou encore plus récemment les crèches. Vu sous un angle journalistique, à étudier les lignes éditoriales, il semble qu’évoquer les morts suspectes, les scandales ou les erreurs médicales soit plus vendeur et permette de mieux sensibiliser la population à la crise hospitalière. Le sort des fonctionnaires et des soignants est alors souvent écarté, l’attention émotionnelle se concentrant sur les victimes visibles de ce système, celles qui paient et qui ont un droit à la santé. A force de désigner les agents publics comme des lignes budgétaires de l’Etat, leur souffrance est totalement invisibilisée.

Et pourtant, c’est bien d’un scandale d’État dont il s’agit.

A quand remonte la crise hospitalière ? Pourquoi autant de tensions sociales et finalement si peu de réactions et d’indignation collectives ? Peut-on dire qu’il existe une crise nouvelle, différente des crises antérieures ? Peut-on vraiment établir la genèse d’un tel malaise tant les causes sont profondes ?

De très nombreux secteurs comme les urgences ou la psychiatrie ont suscité de forts mouvements de contestation mais une incapacité à amorcer collectivement des solutions qui soient reprises sur le plan politique et législatif. Les solutions à mettre en place sont connues, alors qu’est-ce qui bloque ?

L’hôpital public interroge la valeur et le sens de l’existence humaine[4]. A l’heure de l’intelligence artificielle, de réflexions transhumanistes et d’impératifs bioéthiques, il paraît indispensable de revenir aux fondamentaux de la philosophie de la médecine pour replacer le soin au cœur de notre système.

Le refuge supposé préserver la vie est devenu un lieu de désagrégation et de désolation.

De plus en plus de suicides cartographient le malaise de l’institution quand le discours politique et même le juge administratif posent un couvercle lourd sur cette souffrance, car le système doit tenir, quoi qu’il en coûte. Or si la loi était appliquée, il y a bien longtemps qu’il n’y aurait plus d’hôpital public.

Le citoyen dispose d’un droit fondamental à la protection de la santé. Néanmoins, sous la mouvance des idéologies néolibérales et le déclin de la justice sociale, les pouvoirs publics doivent pouvoir trouver un juste équilibre entre égal accès aux soins et financement des structures. Cette recherche complexe ne doit néanmoins pas priver le système de s’interroger sur les causes ontologiques de ses dysfonctionnements et s’attaquer à la délicate question des conflits d’intérêts entre le secteur public et le secteur privé, sans hypocrisie quant au but recherché.

La question est urgente, sur le plan éthique.

Derrière le démantèlement du service public du soin se situe la question profonde, vertigineuse et essentielle, de la condition humaine.

 

  1. Le difficile équilibre entre l’aspiration à vivre mieux et la recherche de profit
  • La protection et l’encadrement du soin comme garanties de la condition humaine

La question du soin n’est pas seulement celle de la protection de l’humain contre des éléments environnementaux ou biologiques, mais aussi et surtout celle de protéger l’humain contre lui-même. Au-delà de l’organisation du soin sur un plan institutionnel se pose, plus précisément, la question de la déontologie médicale et du statut des médecins hospitaliers, celle de l’exercice de leur pouvoir et de leurs ambitions personnelles.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne a inscrit dans sa constitution le principe du caractère intangible et inaliénable de la dignité humaine. Le code de Nuremberg de 1947 constitue le premier texte à pétition universelle visant à réglementer l’expérimentation sur le corps humain, la problématique existant néanmoins depuis très longtemps concernant le consentement des patients, en particulier vulnérables, pour la conduite d’essais cliniques et de toute expérimentation médicale. Avec le progrès technique se reposent les questions, aussi anciennes que l’humanité elle-même, de transhumanisme, d’éternité, de jeunisme et peu à peu une forme de marchandisation acceptée du corps[5]. Si le monde pensait qu’après le nazisme et les horreurs vécues durant la seconde guerre mondiale, l’humanité ne pourrait plus jamais être confrontée à de telles pratiques érigées au rang de politiques d’État, l’actualité récente démontre l’importance constante du principe de neutralité et de non-marchandisation du corps, comme garantie de l’intégrité humaine.

L’avis n°145 du 28 mars 2024 du comité consultatif national d’éthique rappelle qu’« il convient de maintenir une forte vigilance éthique face au risque toujours présent de l’hubris scientifique, que le prestige, tiré d’une découverte médicale, ne l’emportent sur le respect de la personne humaine. »

Le scandale des essais cliniques pratiqués au sein de l’IHU Méditerranée durant la crise sanitaire a pu renvoyer à des heures sombres, rappelant que des centres de prestige et des services hospitaliers publics pouvaient déroger aux règles pour obtenir des cohortes de patients de manière illégale, pratiquer des essais et exploiter la vulnérabilité de certains patients dont le consentement peut être violé. Les usagers savent-ils que leurs données médicales peuvent servir la recherche et être détournées ? Quand ce n’est pas le corps lui-même qui est exploité sans aucun consentement. Il existe ainsi, par exemple, une pratique très communément admise en médecine selon laquelle l’apprentissage du toucher vaginal se fait par des groupes d’internes sous la supervision de leur supérieur hiérarchique sur des patientes endormies dans le cadre d’une opération, cette pratique étant, au sens de la loi, un viol[6].

En outre, l’extrême concurrence qui a cours dans le milieu de la recherche hospitalo-universitaire, au sein d’un établissement, dans le cadre d’une discipline mais aussi dans le monde, et les conflits d’intérêts multiples avec le secteur pharmaceutique et industriel peuvent générer des comportements déviants pour lesquels la réglementation est encore trop peu adaptée.

Nombreuses sont les zones de « non-droit » : la complexité du millefeuille administratif et des structures dilue considérablement les responsabilités en cas de mise en cause. Dans les systèmes publics dysfonctionnels ou en crise se glissent nécessairement des pratiques violant l’éthique mais également les règles de probité : c’est une mécanique bien connue de la criminalité organisée pour corrompre des fonctionnaires de police, personnels de justice ou douaniers ou encore des politiques afin d’interpénétrer le système juridique légal. Il en va de même à l’hôpital, en particulier dans le secteur hospitalo-universitaire où les enjeux financiers peuvent être pharaoniques, outre le prestige obtenu pour une équipe[7]. Il s’agira bien souvent de l’ambition démesurée d’un chef de service exploitant les failles du système pour conduire tel ou tel projet médical ou de recherche, les PU-PH bénéficiant d’un statut et d’un prestige quasi incontrôlés en pratique. Le système mis en place par la haute autorité de transparence de la vie publique et la déontologie stricte des fonctionnaires gagneraient à être systématiquement appliqués et contrôlés dans le milieu de la recherche[8].

Les enjeux posés par la crise hospitalière vont en conséquence bien au-delà du simple constat d’un naufrage financier ou de personnels en souffrance qui sont la partie émergée de l’iceberg et le symptôme clinique d’un système complexe particulièrement défaillant.

 

L’article 11 du préambule de la constitution de 1946 dispose que « [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.”

La santé n’est plus seulement une question de morale ou d’impératif catégorique en tant que préservation de la vie et de l’individu en soi, mais un droit. En France, il existe un ministère de la santé[9] avec tout un système de prise en charge public et privé du parcours de soin, assis sur un système d’assurance à la fois publique et privée. En droit du travail par ailleurs, le législateur a établi un système de prise en charge de l’accident et de la maladie professionnels ainsi que de l’inaptitude en général, y compris la gestion du handicap physique et mental[10]. Le droit de la fonction publique prévoit ainsi des dispositions très protectrices, par exemple le régime de la période de préparation au reclassement permettant à l’agent définitivement inapte à ses fonctions d’envisager une reconversion et une autre carrière[11]. Ces droits s’inscrivent dans la notion large de droit au bien-être, la santé étant définie par l’organisation mondiale de la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Les établissements de santé, les politiques publiques de santé en général, n’ont pas seulement pour objet la prestation de diagnostics suivie d’un parcours de soins mais plus largement, ils participent de la mise en place d’une « juste vie », allant de la prévention au curatif, en passant par la recherche pour constamment améliorer la science et le bien-être[12].

C’est en se plongeant dans la philosophie de la médecine que l’on comprend les enjeux des politiques publiques de santé et les questions ontologiques posées par le néo-libéralisme dans le soin. Il ne s’agit pas seulement de se questionner sur la prise en charge de la santé (solidarité nationale, sécurité sociale, mutuelles ou assurances privées, le soin étant corrélé aux moyens financiers que l’on peut y mettre à titre individuel ou collectif) mais sur sa finalité.

L’acte médical, en soi, doit être décorrélé de son coût et la distinction entre l’administratif et le médical aurait dû, dans son principe, permettre de pouvoir envisager le soin sans avoir la pression de sa rentabilité ou de sa charge, chacun exerçant sa sphère de compétence, l’administratif devant assurer la conduite de l’établissement au regard d’un certain nombre de critères fixés par le ministère et les fonds alloués.

Ce raisonnement simple trouve néanmoins peu à s’appliquer dans la configuration actuelle en ce que les pressions budgétaires ont pris le dessus à tous les niveaux de l’organisation médicale. Le ratio coût/avantage ne saurait s’appliquer dès lors qu’un médecin doit tout faire pour préserver la vie de ses patients sans se soucier de ce qu’il en coûtera, quelle que soit leur origine sociale, c’est le principe même du droit à la préservation de la santé. Il n’est pas possible, par exemple, de laisser repartir des urgences un patient à la suite d’une investigation trop superficielle ou encore sans avoir attentivement écouté la souffrance exprimée au motif que, dans le doute, il vaut mieux économiser un acte que faire une dépense inutile alors que d’autres s’amoncellent dans les couloirs[13].

De manière assez contradictoire, alors que le droit garantit la protection de la santé des citoyens, les pouvoirs publics se préoccupent peu de soigner la grande malade, l’institution.

L’organisation du travail n’a jamais été aussi dévastatrice sur le plan psychique, le premier motif des arrêts maladie longue durée étant la santé mentale, devant les cancers. Dans un cercle vicieux insoluble, les contraintes budgétaires impactent directement et en premier lieu le soin de la santé mentale. Il y a de moins en moins de reconnaissance des accidents et maladies professionnels en lien avec la souffrance au travail : plutôt qu’appliquer des mesures préventives, les pouvoirs publics restreignent comme peau de chagrin le curatif sans qu’aucune solution ne soit mise en place pour stopper l’hémorragie. Par ailleurs, l’émergence de maladies chroniques et le vieillissement de la population, les comportements sociétaux en général ont fait exploser les coûts de santé, générant de nouvelles tensions exigeant une adaptabilité constante.

Des questions fondamentales se posent ainsi sur la façon d’organiser le soin et de considérer le pathologique alors que la société est profondément impactée par les maladies mentales notamment la dépression.

Un très récent ouvrage s’interroge sur l’engouement croissant pour la biologie du cerveau comme susceptible d’expliquer les troubles mentaux, les difficultés scolaires et les inégalités sociales : « pourtant, selon les scientifiques les plus reconnus, les neurosciences n’ont, jusqu’à présent, guère éclairé les pratiques en psychiatrie, en pédagogie ou pour lutter contre les inégalités. Il y a en effet un écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand-public et la réalité des avancées scientifiques. Ce double-discours favorise une conception neuro-essentialiste des comportements humains. En mettant l’accent sur le cerveau individuel, cette conception occulte les responsabilités collectives, notamment vis-à-vis des enfants et des familles défavorisées. En célébrant la plasticité cérébrale, le discours des neurosciences contribue aussi à renforcer l’idéal néolibéral d’autonomie et d’adaptabilité[14]. »

A lire les commentaires sous cet ouvrage, on comprend les enjeux établis par l’auteur lui-même. Il existerait selon lui un double discours entre celui « triomphant » délivré au grand public et la réalité des avancées en neuropsychiatrie ou neuro-pédagogie, au point que des biais de publication et interprétations abusives seraient déjà très présents dans la littérature scientifique. « Ce double discours favorise une conception neuro-essentialiste des comportements humains. Cette conception augmente la stigmatisation des patients souffrant de troubles mentaux et leur pessimisme vis-à-vis de leurs possibilités de guérison. Elle fait porter sur la personne la responsabilité de l’échec scolaire et social, occultant les responsabilités collectives, notamment vis-à-vis des enfants et des familles les plus défavorisées. Malgré ses conséquences sociales délétères, ce double discours semble nécessaire aux yeux des scientifiques car il facilite le financement de leurs recherches dans un contexte de compétition exacerbée. »

Il s’agit dans les faits de concilier la délicate équation entre impératif éthique (principe de dignité humaine) et pragmatisme économique :

  • Donner aux médecins les moyens d’identifier et d’analyser les valeurs et les conflits de valeurs en jeu dans les situations de soin, de recherche et de santé publique, et ensuite, de prendre des décisions « moralement pesées[15]»
  • Permettre à l’hôpital de fonctionner en bénéficiant d’un certain contrôle de l’activité qui ne doit pas être guidé par la gestion mais la qualité des soins,
  • Promouvoir une activité devant servir la justice sociale sur un fondement humaniste et universaliste, celui de l’égal accès au soin, selon un principe d’humanité et d’indépendance du secteur de la santé – la question n’allant pas de soi, comme en témoignent les récents débats sur la suppression de l’AME[16],

Comment peut-on concilier les principes de dignité humaine et de rentabilité, dans une mouvance néo-libérale où l’humain est un facteur de ralentissement économique, alors qu’il est le but en soi de l’hôpital ? Le patient est à la fois usager (parfois consommateur) et finalité, ce qui fait toute la perversité du système. La régulation impérative de la puissance publique suivant ces principes intangibles doit pouvoir permettre de contrôler l’équilibre de cette activité, ce qui est très loin d’être le cas en pratique, tant sur l’usage des deniers publics que sur les finalités éthiques poursuivies.

Les contraintes se retrouvent dans la gestion des personnels. Il se tisse entre le médecin et le patient un lien particulier, y compris entre les membres des équipes, de jour comme de nuit. Pourtant, compte tenu des tensions sur les effectifs, les hôpitaux ont souvent recours à des intérimaires ce qui pose des problèmes de cohésion, de communication, de tension et in fine dégrade la qualité du soin, rompant le principe de la continuité[17]. Certains personnels sont placés ou replacés au gré des besoins dans les services, dépréciant très clairement la qualité des soins.

Ce principe propre à l’application du droit de la fonction publique ne peut trouver à s’appliquer dans le domaine médical. Ainsi, plusieurs décisions de justice ont considéré qu’un médecin pouvait être changé d’affectation sur une autre spécialité parce que le service avait fermé (délibérément pour l’évincer) ou en cas de conflit entre collègues, au motif qu’il était toujours positionné sur un emploi de médecin, en vertu du principe tiré du statut selon lequel un agent public est titulaire de son grade et non de son emploi. On comprend bien toute l’hérésie et l’absurdité de cette règle qui contrevient d’ailleurs aux obligations déontologiques des médecins ; ils ne peuvent dispenser de soins sans avoir la formation requise. Il en est de même de certaines infirmières travaillant de nuit ou en service difficile qui avaient indiqué ne plus vouloir être confrontées à ces situations professionnelles (néonatalité notamment) faute de formation ou compte tenu d’une pénibilité particulière, mais avaient tout de même été maintenues « pour les besoins de service », comme de simples matricules, dans ces services, provoquant des décompensations et même des suicides[18].

La prise en considération de l’humain, que ce soit au niveau du patient ou du soignant est une donnée absolument incontournable et pourtant, elle ne figure pas dans les statistiques.

L’œuvre de Georges CANGUILHEM est en ce sens pionnière et d’une particulière actualité[19]. Il a été le premier à critiquer la conception scientifique dominante de la maladie, le « dogme positiviste », ce qui a nourri de profonds débats entre naturalistes et normativistes.

Il interrogeait déjà, en 1943, la question du patient comme placé au centre de l’élaboration de la norme de santé et de dignité : « il est exact qu’en médecine, l’état normal du corps humain est l’état qu’on souhaite de rétablir. Mais est-ce parce qu’il est visé comme fin bonne à obtenir par la thérapeutique qu’on doit le dire normal, ou bien est-ce parce qu’il est tenu pour normal par l’intéressé, c’est-à-dire le malade, que la thérapeutique le vise ? (…) Nous pensions que la médecine existe comme art de la vie parce que le vivant humain qualifie lui-même comme pathologiques, donc comme devant être évités ou corrigés, certains états ou comportements appréhendés, relativement à la polarité dynamique de la vie, sous forme de valeur négative. Nous pensons qu’en cela, le vivant humain prolonge, de façon plus ou moins lucide, un effort spontané, propre à la vie, pour lutter contre ce qui fait obstacle à son maintien et à son développement pris pour normes.[20] »

L’approche de la norme, sur le plan « organique » ou biologique, relève ainsi d’une vraie question philosophique, Albert Camus ayant probablement résumé le problème posé en indiquant que le suicide, à savoir la question du choix de vivre, était la question philosophique par essence. Les nombreuses décompensations graves des personnels soignants nécessiteraient une étude selon ce prisme, au regard d’une violence éthique endurée d’une particulière acuité dans les missions exercées.

Comment inscrit-on en conséquence la question de la vie, de la mort et de la thérapeutique dans un contrat social ?

Réfléchir aux politiques de santé, c’est s’interroger surtout sur la condition humaine[21].

Ainsi, il ne s’agit pas tant de quantifier un soin à prodiguer, vision particulièrement restreinte du pathologique, que de considérer la médecine comme science de la personne humaine, cherchant à comprendre le sens de la maladie « bien au-delà du mécanisme causal que le diagnostic est susceptible d’établir pour en trouver la cause et les moyens de la soigner[22]. »

Certains auteurs qualifient de « dimension militante » la volonté de ceux qui souhaitent replacer la question de la perception de la maladie par le malade et l’importance donnée à un savoir moral concret. C’est dire si le monde hospitalier s’est robotisé au point d’avoir oublié l’essentiel de sa mission[23].

Pour autant, le patient, qui ne saurait être un client, doit rester au centre du dispositif, il en est le cœur, l’objet et l’essence. C’est bien à ce sujet que les théories néolibérales ont introduit une vraie tumeur dans le système.

Ainsi, alors que pour BICHAT et CANGUILHEM c’est dans la maladie que s’exprime l’originalité de la vie, l’idéologie néo-libérale a fait du pathologique un marché et de la bonne santé la norme, selon une mouvance que l’on retrouve dans le lean-management où tout ce qui n’est pas utile à la production doit être écarté.

La maladie et la vulnérabilité sont devenues des charges, il faut en conséquence les rentabiliser.

Ainsi quel que soit le tournant de réflexion pris, tous les chemins mènent à la question du coût et de la rentabilité.

 

 

  • Le tournant gestionnaire : le new public management

Il est difficile de situer, historiquement et politiquement, le grand tournant néo-libéral dans la gestion des services publics français tant le new public management, sa traduction organisationnelle dans le service public, est présent, sur le plan international et en particulier aux Etats-Unis et en Angleterre depuis la fin du 19e siècle, phénomène ayant trouvé son apogée dans les années 30[24], malgré la violente crise de 1929. Le courant s’est tapi dans l’ombre durant la seconde guerre mondiale puis a trouvé un regain d’intérêt majeur dans les années 70 notamment avec les ères REGAN et TATCHER. C’est pourtant au moment où les Etats et cercles d’experts ont commencé à revenir de ces méthodes, tant elles ont pu être destructrices, que la FRANCE a décidé de les introduire[25].

La lecture de la circulaire du 23 février 1989 relative au « renouveau du service public », signée de Michel ROCARD, premier ministre de l’époque, a jeté les fondements d’une politique néo-libérale d’évaluation des politiques publiques et des ressources humaines, le terme le plus important probablement figurant en préambule est celui de « l’efficacité » : « La nécessité d’une adaptation de l’Etat pour parfois accompagner ou devancer les mutations profondes que connaît la société française a mis du temps à s’imposer. En ce domaine comme ailleurs, l’immobilisme, s’il est parfois une tentation, n’est jamais une politique.

Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est le rôle fondamental, aux yeux de l’ensemble des français, que doivent jouer l’Etat et les services publics. Ils doivent être capables d’assurer, dans les meilleures conditions d’équité et d’efficacité, les indispensables missions de garants des valeurs républicaines, de défenseurs de l’intérêt général et de promoteurs du progrès économique et social[26]»

Si l’exécutif de l’époque réaffirmait l’importance du statut comme garantie notamment de la déontologie des agents de l’Etat, signe fort du respect de l’intérêt général, l’idée d’une certaine rigidité de l’organisation du service public appelait ainsi à l’introduction de méthodes, d’outils, de modes de gestion et d’organisation du secteur privé. Durant plusieurs années s’est ainsi instillée l’idée que le service public souffrait d’immobilisme, d’un manque de réactivité aux enjeux notamment économiques du pays et que les fonctionnaires ne représentaient qu’une ligne budgétaire très lourde pour les finances publiques, en conséquence une charge de moins en moins acceptable pour le contribuable. C’était ainsi le grand début de l’introduction du New Public Management dans la sphère étatique, un phénomène qui a pris une très grande ampleur à la fin des années 2000 pour s’accélérer à compter de 2017 jusqu’à l’affaire dite « McKinsey ».

L’idéologie néolibérale a pénétré l’intégralité du marché et des consciences, participant d’un dénigrement permanent du « mammouth » étatique, des compétences internes et de la technicité des métiers de la fonction publique, dans une recherche permanente de réduction de l’Etat à son plus simple appareil, au service d’intérêts privés. C’est aussi tout le concept de la « start-up nation »[27]. Petit à petit, l’inefficience a été savamment organisée dans un flot de gaspillage des deniers publics, participant d’une dépréciation drastique de la qualité du service public. Le phénomène est particulièrement visible dans l’Education nationale, l’enseignement supérieur, la justice et l’hôpital public.

La montée en puissance de nouvelles « religions » comme le développement personnel participent par ailleurs d’une société profondément individualiste, à rebours des messages universalistes et solidaires prônés par l’Etat-providence, l’individu et sa réussite personnelle étant au cœur du marché économique. L’omniprésence des réseaux sociaux et l’utilisation des neurosciences pour dicter les comportements consuméristes des utilisateurs a généré une hausse des troubles psychiatriques comme l’addiction et la dépression, ce qui est d’ailleurs dénoncé par de nombreux experts, en particulier pour les plus jeunes et les personnes vulnérables. L’idée que la technique et le progrès, de même que les ressorts de l’individu sont les véritables sources du succès personnel, le mythe du « self-made man » ont pour objet d’écarter toute forme de dissidence et de déresponsabiliser totalement le système, faisant porter le poids de son échec ou succès au seul individu consommateur  : « En l’absence de bénéfices tangibles pour la pratique du soin et pour l’enseignement, le discours des neurosciences appliquées à la psychiatrie et la pédagogie s’appuie sur deux arguments d’autorité pour crédibiliser ses promesses. Premièrement, comme le cerveau est l’organe clé dans ces deux domaines, les neurosciences seraient plus scientifiques et, donc, plus pertinentes que les sciences humaines et sociales. Deuxièmement, puisque toute croyance en un monde autre que matériel est une illusion, toutes les notions floues comme l’esprit, la honte ou la culpabilité doivent être écartées d’une pensée matérialiste et rationnelle. Cependant, même en restant matérialiste et rationnel, ces deux arguments ne tiennent pas face aux objections philosophiques, évolutionnistes et historiques.[28] »

Les premiers dégâts sociaux ont été mis à jour par le scandale France Télécom qui a donné lieu à un procès retentissant en 2019 puis en 2022 en appel. A la suite de très nombreux suicides après la mise en œuvre de plans destinés à restructurer l’entreprise et à dégraisser massivement les effectifs de manière particulièrement violente et pernicieuse, la justice a rappelé que rien, y compris l’intérêt du service, ne pouvait porter atteinte la dignité humaine.

Ce principe néanmoins n’est toujours pas intégré par le juge administratif quand il s’agit d’examiner le sacrifice d’un individu sur l’autel de l’incapacité de l’Etat à faire fonctionner légalement et humainement ses services publics.

Malgré un procès retentissant et des condamnations exemplaires, rien n’a changé, bien au contraire. France Télécom aura servi de laboratoire au démantèlement plus large du service public et en premier lieu de l’hôpital public. Ce qui s’y produit est d’autant plus grave que d’une part il existe de nombreux précédents sur la casse sociale en cours et encore prévisible sans qu’aucune mesure ne soit mise en œuvre pour y mettre fin, les ministres de la santé successifs étant parfaitement informés de ces situations, d’autre part l’objet social n’est pas, comme pour la société Orange, la production et la vente de nouvelles technologies mais la préservation de la vie humaine.

Ainsi, le dernier rapport sénatorial sur la crise hospitalière de 2022 énonce une vérité bien connue et totalement illégale (mais visiblement bien assumée) qui ne peut que consterner, en particulier le professionnel du droit qui reçoit les ayants droits et les personnels en arrêt : « le fonctionnement de l’hôpital repose encore trop souvent sur la bonne volonté des personnels et sur une morale du dévouement qui induit un contournement fréquent des obligations légales et réglementaires. Or la reconnaissance du travail effectué par les personnels ne paraît plus suffisante pour obtenir les sacrifices que l’on se satisfaisait d’attendre de leur part, à tel point qu’un très grand nombre d’interlocuteurs entendus par la commission d’enquête voient dans cette évolution un des facteurs de la crise actuelle[29]. »

En 2007 lors du lancement de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le nouveau président Nicolas SARKOZY a introduit une vaste réforme managériale des services publics afin de contrôler la dépense budgétaire, tout en introduisant la valorisation au mérite des fonctionnaires. L’hôpital public, avec la nouvelle loi HPST[30], a connu l’une des plus fortes restrictions budgétaires de son histoire[31]. Les chiffres sont particulièrement alarmants sur le manque de personnel, la crise de sens, le manque de moyens et le nombre exponentiel d’accidents sur les patients. Depuis plusieurs années, l’actualité fait état de services d’urgence sous tension quand ils ne sont pas tout simplement fermés dans certaines zones, le temps de travail est codifié et chronométré, les paramédicaux sont utilisés comme de simples matricules interchangeables au gré des besoins, ce que le juge administratif persiste à qualifier d’intérêt du service.

Avec d’un côté un hôpital qui fonctionne en gestion de crise permanente et un juge cautionnant la situation en faisant injonction à l’individu de se plier à l’intérêt supérieur de la continuité de service, le système s’effondre.

En 2019, l’académie nationale de médecine remettait un rapport d’étude sur l’origine de la crise hospitalière et formulait de nombreuses propositions[32]. Le rapport pointe ainsi une perte de sens généralisée auprès des personnels et une éthique « bafouée » : « à la vision médicale de l’hôpital s’oppose actuellement une vision managériale exclusive à dominances économique et budgétaire. Le qualitatif (soins) a cédé la place au quantitatif (volumes) sans chercher la pertinence et le résultat pour le malade. Au contraire, les financements sont meilleurs s’il survient des complications (par le biais d’un codage favorable, véritable obsession accaparant des emplois non soignants) ou en cas de mort précoce lors du soin d’une maladie au tarif élevé (recette importante avec moins de dépenses) ou lors d’hospitalisations indues (apport supplémentaire de financement). Le tri des activités (rentables ou non) est le fil conducteur de la politique suivie para chaque hôpital. »

Le suicide du Pr Jean-Louis MEGNIEN en décembre 2015[33] a généré une onde de choc et déclenché un mouvement collectif d’ampleur de libération de la parole à la fois sur les tensions budgétaires de l’hôpital et l’organisation administrative jugée toute puissante, mais a aussi mis à jour les problématiques liés à la culture médicale et à la sociologie du travail au sein des hôpitaux.

La justice a découvert le monde de l’hôpital public et des PU-PH.

Il paraît d’ailleurs très surprenant qu’un tel statut ait pu durer aussi longtemps sans que le droit n’y ait exploré les pratiques abusives connues pourtant de longue date et déclinées sous le terme de « mandarinat ».

Depuis, et de plus en plus ouvertement depuis quelques mois, dans la mouvance du mouvement « metoo », sur impulsion des internes notamment, les comportements déviants sont de plus en plus dénoncés.

Car ce qui ne ressort pas beaucoup, voire quasiment pas des différents rapports d’enquête concerne la problématique des violences internes au monde hospitalier, qu’elles soient morales ou sexuelles, le tabou étant encore extrêmement difficile à lever. Probablement parce qu’il est question de pouvoir et que beaucoup ont peu intérêt à laisser filer ce que l’on peut très clairement qualifier de privilèges.

Pour autant, la culture professionnelle de la médecine doit impérativement être interrogée et modifiée, de la formation à la pratique professionnelle, ce qui contribuera nécessairement à reconstruire les solidarités entre les professionnels et à réintroduire les notions d’éthique et d’empathie.

 

2. L’hôpital public : un lieu de violence et de pouvoir

Sur la méconnaissance de la culture professionnelle des hôpitaux publics

La loi HPST a instauré « un seul patron » au sein de l’hôpital. La terminologie choisie à l’époque par Nicolas SARKOZY n’est sans doute pas due au hasard dès lors que le terme de « patron » désignait les mandarins, les chefs de service étant les réels décideurs à l’hôpital, faiseurs et défaiseurs de projet médical, de carrière et d’organisation, à qui il doit impérativement être voué allégeance[34]. Ce faisant, la loi HPST a donné le dernier mot à la direction hospitalière, y compris en matière de police interne et disciplinaire, principe légèrement revu récemment en 2021. Il existe en conséquence un véritable choc des cultures à l’hôpital entre d’une part des hauts fonctionnaires formés au sein d’une même école pour structurer et organiser les établissements, de l’autre les médecins ayant particulièrement mal vu cette intrusion dans leur pouvoir interne. Dans les faits, l’administration s’occupe quasi exclusivement de gestion, laissant les médecins et équipes gérer leurs ressources humaines sans véritable management, ce qui a fait exploser les situations conflictuelles et de harcèlement moral notamment.

 

Dernièrement, à la suite de documentaires télévisuels et radio, d’une intense pression médiatique[35] et de l’intervention des internes moins disposés à subir ce que subissaient leurs aînés, le conseil de l’ordre des médecins vient de lancer le 23 septembre 2024 un grand questionnaire sur les violences sexistes et sexuelles dont il rendra ses résultats fin 2024. La profession peu encline à se remettre en question sur ses méthodes managériales et sur ses pratiques culturelles semble commencer à s’adapter au monde d’aujourd’hui, bénéficiant en l’espèce du grand mouvement metoo.

Il est à déplorer néanmoins que le harcèlement moral, particulièrement cruel au sein des hôpitaux publics, ne bénéficie pas d’une même prise de conscience. Les violences sont d’ailleurs à peine évoquées dans le dernier rapport sur l’hôpital public, sans qu’aucune mention ne soit faite sur le harcèlement sexuel ou le harcèlement moral[36] alors que les chiffres sont particulièrement alarmants[37].

Les problèmes relationnels ou personnels, à un certain niveau, sont réglés par de simples appels, réunions, rencontres ou entre-gens de bonne réputation, en fonction du rang et du pouvoir exercé au sein de l’hôpital : c’est le pendant de la rigidité de la règle, elle a été faite pour être contournée. Les saisines de juridictions disciplinaires, pour les PU-PH sont exceptionnelles.

Pour être soigné rapidement à l’hôpital aujourd’hui, il faut connaître quelqu’un qui pourra vous recommander, c’est la meilleure assurance de ne pas passer des heures aux urgences ou d’attendre plusieurs mois une consultation. La situation est bien évidemment terrifiante dans les territoires souffrant de désert médical. Ces principes sont très éloignés de l’idée que l’on peut se faire du service public et pourtant elles deviennent légion dans tous les secteurs : les fractures sociales s’en trouvent considérablement aggravées alors que les personnes les plus pauvres sont celles qui n’ont ni les moyens d’aller être soignées dans le secteur privé, ni celui de bénéficier d’un puissant réseau relationnel permettant de bénéficier d’un diagnostic et d’une prise en charge plus rapide.

De l’analyse juridictionnelle de la bureaucratie : l’absence d’arbitre

L’étude de la documentation en lien avec la crise hospitalière permet de déterminer qui, du médecin ou de l’administratif a pu rédiger les lignes, tant la vision du monde hospitalier diffère selon l’angle pris par l’un ou l’autre de ces professionnels. L’analyse critique du monde hospitalier se borne souvent, outre les problématiques du financement, à opposer les deux cultures professionnelles, les médecins ayant souvent la dent dure contre l’employeur public, étant bien à la peine d’analyser leurs propres comportements et pratiques professionnels.

 

Globalement, il convient de souligner que de nombreux éléments sociologiques sont oubliés dans l’analyse, participant, comme dans d’autres secteurs, de la souffrance dite de classe, liée à l’invisibilisation de certains corps de métiers, notamment les agents de catégorie B et C, que ce soit du côté des équipes administratives ou paramédicales.

L’autrice Joy SORMAN a pu d’ailleurs illustrer l’une des raisons sociologiques de la souffrance au travail de certains personnels dans son livre « à la folie » : « Adrienne est ASH, agent de service hospitalier, certains disent femme de service, d’autres femmes de ménage – et en effet, aucun homme n’occupe ce poste ni, Adrienne exceptée, aucune femme blanche. (…) Adrienne se sent solidaire de ces schizophrènes au rebut, du même bord dans la lutte des classes, et reste toujours attentive aux rapports de force, qu’elle décrit ainsi : au sommet les médecins bourgeois, qui n’écoutent pas la base, prennent de haut la classe ouvrière des ASH et des aides-soignants comme celle est internés. Et au milieu, se tenant maladroitement sur la ligne de front, la classe moyenne des infirmiers, indécise, changeante, parfois l’alliée de la classe dirigeante, parfois sa victime[38]. »

Un professeur de médecine a publié en 2022 un essai qui serait particulièrement drôle s’il n’était en fait terriblement consternant sur les problématiques bureaucratiques de l’hôpital, description burlesque qui pourrait d’ailleurs s’appliquer, probablement, à l’ensemble du service public. L’avant-propos démarre sur une affaire de déménagement de photocopieuse dont l’installation, pour une histoire de prise à déplacer et de trou dans le mur pour faire passer un câble aura mobilisé 3 services et quatre mois, avant de finir par une démarche de bon sens, hors procédure[39].

Il y indique par ailleurs que pour codifier ses actes de psychiatrie, il dispose de 1288 codes, ce qu’il résume dans le titre de son ouvrage « excel m’a tuer » : « il est un secteur préservé de la désindustrialisation, celui des usines à gaz, construites à grande échelle par l’administration, pour le codage, pour le « reporting », pour les procédures, pour l’attribution des crédits, pour les recrutements, pour tout.[40] »

Ces contraintes bureaucratiques si éloignées de l’humanité requise au quotidien sont parfaitement résumées dans l’ouvrage précité de Joy SORMAN. Cette autrice a passé une année en hôpital psychiatrique et raconte le témoignage des patients et des soignants avec une infinie délicatesse, soulignant l’urgence à prendre soin des personnes vulnérables : « Là-haut dans les bureaux ils ne veulent pas comprendre que le temps du soin n’est pas celui des procédures. Si un patient veut une feuille et des crayons pour dessiner dans sa chambre, en dehors des heures officielles d’ergothérapie, il faut demander une autorisation. Le temps de la demander et de l’obtenir, le patient a renoncé, est passé à autre chose, et il est trop tard pour soigner avec délicatesse et précision. (…) Dans un monde idéal il nous faudrait un soignant par malade. Vous savez, perdre du personnel c’est perdre du temps de parole, de l’attention, c’est aussi préjudiciable que perdre un scanner en cancérologie[41]. »

Et si, effectivement, l’ensemble du service public, et les hôpitaux publics en particulier dysfonctionnent selon ces mêmes process, il faut reconnaître que le juge administratif a tendance à avoir banalisé le mal et, conscient des problématiques endémiques budgétaires et structurelles, fait porter le poids des errances managériales sur l’individu sacrifié sur l’autel de « l’intérêt général ». Ces absurdités processuelles et systémiques génèrent une véritable consternation des personnels si ce n’est un véritable désespoir tant la machine administrative est mue par sa force d’inertie, véritable machine à broyer que rien ni personne ne semble pouvoir, à ce jour, arrêter. Régulièrement, la masse budgétaire du coût des agents publics est pointée, sa lenteur, son inefficience…savamment programmée pour organiser méthodiquement les fermetures de service. C’est ce que l’on appellerait en droit du travail un plan social déguisé et qui se nomme, en droit de la fonction publique, la raison d’Etat.

Dans un colloque en date du 28 novembre 2023, le Conseil d’Etat a interrogé la notion d’intérêt général, à travers sa culture et son histoire, présentant ainsi la dialectique : « Notion fondatrice de l’action publique et centrale pour le juge administratif, elle apparait aujourd’hui brouillée voire incomprise. La référence à l’intérêt général semble disparaître du débat public comme du discours politique, au profit de notions différentes (le bien commun, les droits fondamentaux). Le colloque du 28 novembre dernier fut l’occasion de la remettre en lumière, tout en interrogeant les tensions nouvelles auxquelles elle est soumise : au regard de l’affirmation d’intérêts individuels s’appuyant sur des principes forts (liberté d’expression, droits sociaux, droit à un environnement équilibré), dans un paysage où s’imposent de nouveaux enjeux (droit de l’environnement, droit du numérique) et de nouvelles dimensions (dimension européenne, dimension globale).
Enfin, la confrontation avec les droits fondamentaux soulève de nouvelles questions : l’intérêt général absorbe-t-il les droits fondamentaux ou bien les droits fondamentaux, s’opposent-ils à l’expression de l’intérêt général ? »

La présentation de ce colloque pose une véritable question ontologique tant elle est inscrite dans une histoire figée d’appréhension d’une forme de raison d’Etat qui ne paraît plus adaptée aux questions pratiques rencontrées par les services au quotidien en matière organisationnelle, sur le strict plan de la gestion des ressources humaines. Parfois, et tous les praticiens du droit public pourront en témoigner, les conclusions du rapporteur public sur un dossier de harcèlement moral ou plus largement de santé au travail d’un agent semblent totalement déshumanisées, décalées par rapport aux réalités de service, avec une méconnaissance manifeste du mode de fonctionnement concret des luttes de pouvoir au sein d’un établissement de santé, des aberrations managériales et procédurales et des tendances, souvent, par les hiérarchies, à construire des rapports et enquêtes de toutes pièces pour stigmatiser l’élément dissident ou problématique que l’on souhaite évincer. La pratique judiciaire pénale et administrative est totalement dissociée en ce que la première procédure donne la parole à l’ensemble des parties de manière équitable et neutre avec une analyse humaine et personnifiée de la qualification d’une infraction, quand pour la seconde la présentation d’une affaire relève d’un certain Dom Quichottisme voire d’une pratique assez frontale de défense de la dissidence face au régime totalitaire d’une doxa impossible à renverser, l’intérêt général.

Pour être clair, le système organisationnel, en ce qu’il relève du pouvoir arbitraire de l’administration, échappe au contrôle du juge administratif dans la quasi-totalité des cas, derrière l’appréciation du caractère normal ou non de l’autorité hiérarchique.

La justice a tendance à voir la victime sous un angle moral, comme née de la haine et du ressentiment, comme si les poursuites ou le procès constituaient un acte de vengeance aveugle et le fait de n’être qu’un créancier, quolibet souvent associé à fonctionnaire, dans le sens péjoratif du terme. C’est déjà difficile en matière pénale, c’est inaudible en matière administrative.

Face à cette forme d’impunité organisée, le juge administratif faisant une application du livre IV du code du travail assez exceptionnelle, pour une raison encore incompréhensible en droit (elle l’est davantage sur le terrain de l’opportunité mais un juge doit juger en droit et non se porter garant des errances de l’exécutif…), le dialogue entre les médecins et les administratifs reste sourd. Quant aux autres personnels, ils subissent la machine à broyer judiciaire lorsqu’ils y ont recours et restent les sacrifiés du système.

Parmi les propositions formulées par le corps médical est celui d’une participation plus importante des médecins à la gouvernance, permettant de retrouver un corpus de valeurs partagées et de restaurer une confiance réciproque, prônant par ailleurs une régionalisation et moins de concentration.

In fine, on retrouve la même problématique que celle posée par M. CANGUILHEM dans « le normal et le pathologique » : car au fond, qu’est-ce qu’un comportement hiérarchique normal ? Il est possible de se faire une idée assez précise du caractère particulièrement restrictif que se fait le juge administratif de la notion de normalité à la lecture des conclusions du rapporteur public sous un arrêt remarqué du Conseil d’Etat de septembre 2021[42]. Dans cet arrêt, contraire à la loi en ce qu’il porte une appréciation morale (et non juridique) sur l’appréciation d’un comportement « normal » de l’autorité hiérarchique, le Conseil d’Etat renverse la présomption d’imputabilité au service d’un accident en cas de survenance sur le lieu et le temps de travail, estimant qu’il faut rapporter la preuve, lors d’un entretien, qu’il ne s’est pas déroulé normalement, et ce alors qu’il n’y a aucun témoin et que le juge administratif, procédure écrite oblige, ne reçoit pas les enregistrements. Cette jurisprudence a poussé, dans la pratique, les hiérarchies à des convocations à entretien intempestives et à caractère disciplinaire : alors qu’il existe dans les faits une multitude de situations de décompensation durant les entretiens d’évaluation annuels, le juge administratif, probablement par méconnaissance de la violence organisée dans les services de ce fait, a créé une situation non seulement illégale, la cour de cassation ayant une position totalement inverse, mais fortement attentatoire aux droits sociaux des agents. Pour le juge administratif, le caractère anormal d’un entretien doit se manifester par une violence manifeste, par exemple des propos au ton élevé, des insultes ou toute situation objectivement inappropriée. La violence morale induite sur un ton calme ou la contextualisation dudit entretien sont tout simplement ignorés.

Le système s’est organisé pour stopper l’hémorragie budgétaire, à savoir le placement en accident de service à la charge de la collectivité, face à un contentieux de masse qui devrait interroger dans son phénomène de récurrence. Pourquoi y a-t-il autant de décompensations psychiques à l’issue d’entretiens hiérarchiques ? C’est probablement en répondant à cette question que l’on régulera la santé mentale au travail et non en bloquant arbitrairement toute reconnaissance administrative de la souffrance au travail reléguée, une fois de plus, à une ligne budgétaire.

Si cette jurisprudence a une certaine logique, elle est désormais d’application immédiate sans nuance aucune, faisant porter la charge d’une preuve impossible à l’agent. Elle risque par ailleurs de créer une nouvelle violence au travail, celle de devoir systématiquement enregistrer tout épisode professionnel pour se constituer la preuve d’une situation.

Les usages juridictionnels de la juridiction administrative ne sont pas adaptés aux problématiques posées par les dysfonctionnements de l’organisation du travail ni à la confrontation de la loi au néo-libéralisme, en particulier en matière de droit de la santé au travail. Ainsi, le Conseil d’Etat n’a toujours pas reconnu la notion de harcèlement institutionnel et est bien à la peine de qualifier très concrètement, de même que les juridictions inférieures, le manquement à l’obligation de protection de la santé et de la sécurité, comme le fait, et depuis longtemps, la chambre sociale de la cour de cassation. Et pourtant, le droit l’y oblige.

La Haute juridiction reste curieusement enfermée dans une notion abstraite et méta-systémique de l’intérêt général comme si elle s’interdisait d’apprécier, au prisme de son office, les méthodes appliquées pour la mise en œuvre des politiques publiques.

En matière hospitalière et hospitalo-universitaire, le juge a une pratique particulièrement dure envers les individus, prétendant protéger les deniers publics et l’équilibre du système. Il semble par ailleurs refuser de jouer le rôle d’infirmier social d’un État défaillant : et pourtant, il est le garant de l’application de la loi.

Sur le plan pénal, les plaintes pour harcèlement au sein de l’hôpital sont jugées techniques et complexes, elles sont peu voire pas investiguées, le harcèlement moral, symptôme délictuel de la souffrance au travail induite par le management et les comportements personnels restant une infraction mineure, très largement sous considérée, comme l’ont très longtemps été le viol et les infractions sexuelles. Comme pour l’hôpital public, la justice malade elle-même ne soigne pas les soignants.

Cette absence de contrôle des conséquences dramatiques de politiques publiques mortifères pose problème dès lors que rien ne permet de les réguler.

Plusieurs auteurs dénoncent ainsi le triomphe de la haute fonction publique y compris dans les établissements de soin où, curieusement, les emplois administratifs ont drastiquement augmenté au préjudice direct des postes de soignants et paramédicaux qui, eux, ont diminué. Les recrutements des équipes sont devenus strictement administratifs, l’hôpital s’est mué en véritable Etat dans l’Etat avec son millefeuille administratif de direction, pôles, services, unités fonctionnelles, départements et autres strates permettant de conforter aussi la distribution de pouvoirs à certains médecins, selon la théorie éprouvée de La Boétie dans « Discours de la servitude volontaire ». Les médecins doivent devenir des managers sans avoir aucune formation et les administratifs régulent l’acte de soin de façon strictement statistique. Cette organisation dysfonctionnelle génère non seulement une souffrance éthique mais elle constitue également le terreau de comportements violents et déviants soit vis-à-vis des patients (usagers du service) soit entre les personnels.

Un fonctionnement pyramidal rigide déconnecté des contraintes de terrain

L’hôpital public s’inscrit dans un véritable millefeuille administratif : la politique centrale de santé est établie par le ministère, elle est déclinée dans les territoires par les agences régionales de santé, les directeurs généraux des établissements, parfois intégrés dans des groupements, œuvrent un peu comme des préfets, le contrôle de légalité en moins, ce qui fait, in fine, une très grande différence avec les services déconcentrés de l’Etat.

Il faut y rajouter les nombreux établissements périphériques dont l’université, le CNRS, l’INSERM, l’ANR, l’HAS…la liste est bien trop longue pour être rapportée de manière exhaustive. Se dessine ainsi, dans l’examen de l’organisation du travail, une organisation matricielle impénétrable dont l’objectif paraît bien être de ne pouvoir déterminer aucune responsabilité de rien.

La récente loi dite RIST du 26 avril 2021, issue du Ségur de la santé, a souhaité rétablir un meilleur équilibre entre la direction générale d’un établissement et la présidence de la commission médicale d’établissement, y compris en replaçant le chef de service au centre des décisions pour chaque service, tout en maintenant ou rajoutant des échelons intermédiaires comme le pôle ou encore les groupements hospitaliers de territoire. Les hôpitaux, qui ont des fonctionnements différents en termes de territorialité, réclament ainsi une plus grande autonomie et une simplification du maillage administratif. C’est toute la question de la décentralisation et des dérives possibles, notamment de clientélisme et de conflits d’intérêts bien connues des collectivités territoriales : nous ne partageons pas le principe d’une déconnexion totale du contrôle de l’Etat, les agences régionales de santé ayant notamment pour objectif d’adapter l’offre de soin pilotée de manière centrale à un territoire donné.

Elles ne doivent en revanche pas être de simples chambres d’enregistrement qui, faute de moyens ne peuvent exercer aucun contrôle et constituent, de fait, un simple échelon surabondant administratif. La problématique se retrouve également auprès des services du contrôle de légalité des préfectures.

Pour se convaincre de la complexité du monde de la santé publique, il suffit de lire le sommaire du code de la santé publique qui fait près de 300 pages : l’hôpital navigue sur un océan d’instabilité textuelle[43].

Le financement de la santé se fragmente entre l’assurance maladie, la direction générale de l’offre de soins, la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. La concurrence est parfois exacerbée entre les groupements hospitaliers de territoire et la médecine de ville, quand certains libéraux sont appelés pour remplir des missions de service public à prix fort, afin de pouvoir ouvrir ou fermer des services en fonction des besoins. Ainsi, certaines spécialités sont devenues des parts de marché. La tarification à l’activité (T2A), par ailleurs, ne permet pas de répondre aux exigences de situations complexes et entraîne une gestion strictement budgétaire de la maladie, notamment sur la durée du séjour hospitalier ou le temps de la prise en charge. L’humain est ainsi vu comme une simple statistique… « La tarification à l’activité bloque le passage à l’ambulatoire, interdit un séjour en hospitalisation de jour de deux journées de suite, oublie le social et le dialogue entre professionnels de santé et patients, ne prend pas en compte la prévention, l’information et l’éducation des malades et des citoyens, gêne l’implantation d’innovation en raison du coût de développement[44].

Pour autant, comme le souligne un auteur[45], la T2A n’est que la partie émergée d’un problème lié au financement de l’hôpital public. Il faut en conséquence distinguer la problématique de la méthode mise en œuvre en tant que qualification du travail prescrit (consistant à passer du temps à trouver le code et le rentrer, ce qui constitue un travail administratif particulièrement fastidieux surtout en période de surcharge de travail des personnels) de celle de l’ontologie même de la tarification des actes[46]. Selon le prisme pris, médecin, administratif, philosophe, sociologue ou professionnel de l’éthique, l’analyse sera évidemment divergente, la question est de savoir comment rendre le suivi gestionnaire de l’activité de soin plus fluide sans favoriser une vision du soin quantitative plutôt que qualitative.

Mais la problématique principale reste celle du financement[47]. Ainsi, il a surtout été demandé à l’hôpital public de porter l’effort de la réduction du coût des soins, faute de régulation au niveau de la médecine de ville. Plus de la moitié des hôpitaux sont en déficit, au détriment de l’effort d’investissement qui s’est réduit de moitié en dix ans, avec pour corollaire une augmentation continue de vétusté des équipements. Des suites de ces contraintes massives, obligeant l’Etat à réabonder périodiquement et à absorber la dette, l’hôpital public est en crise majeure à tous les niveaux, en particulier sur le plan psychosocial.

Il règne pourtant une omerta préoccupante, signe d’un véritable tabou politique, qui est celle de l’occultation des données sociales centralisées sur l’état psychosocial des hôpitaux.

Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale du 29 mars 2022 pointe le nombre préoccupant de postes vacants au sein de l’hôpital public, en particulier d’infirmiers, l’alerte remontant à avant la crise sanitaire, ainsi que de nombreux abandons en cours d’études à un taux anormalement élevé pour les infirmiers, sages-femmes et manipulateurs d’électro-radiologie notamment[48].

Il précise par ailleurs que le gouvernement a démenti les chiffres relatifs à la fermeture des lits et à la vacance de poste : « il est pourtant lui-même dans l’incapacité d’établir un tableau de la situation et n’a fourni que des indications très parcellaires sur la base d’une enquête effectuée en urgence. En dépit des multiples informations que les établissements sont tenus de renseigner dans leur système d’information, il n’est pas possible aujourd’hui d’obtenir des données actualisées sur des sujets aussi importants et nécessaires au pilotage de la politique publique de santé que les ressources humaines et les capacités hospitalières.[49] »

Ce constat accablant était déjà souligné par un rapport de la cour des comptes de mai 2006, et l’on comprend l’intérêt de maintenir une telle omerta dès lors que l’hôpital public fonctionne à ce jour en toute illégalité : le temps de travail légal n’est pas respecté et c’est à ce stade que se situe, selon nous, un véritable scandale d’Etat, que l’on retrouve par ailleurs dans de nombreux services publics comme la justice ou la police. Sans le dévouement extrême des personnels, le service public ne peut plus fonctionner[50]. Cette situation est d’autant plus problématique que les personnels hospitaliers ne bénéficient d’aucune reconnaissance et que, chaque fois qu’à titre individuel, ils tentent de dénoncer des situations totalement illégales, ils sont quasi systématiquement rabroués par le juge administratif.

Cette tension et cette emprise sur les personnels sont particulièrement choquantes sur le plan éthique et juridique, en ce que l’illégalité perdure au sommet de l’Etat, quand, avec la plus parfaite dissonance cognitive, les normes imposées aux entreprises privées sont de plus en plus contraignantes, leur violation étant strictement réprimée. On peine à comprendre, d’ailleurs, comment les personnels peuvent à ce point se soumettre collectivement, quand l’opinion publique continue de penser que les fonctionnaires sont des paresseux trop nombreux qui profitent du système[51].

La raison de ce silence tient au dévouement des personnels soignants et paramédicaux notamment, témoignant d’un profond attachement à leur vocation et aux missions de l’hôpital. Ainsi, la plupart du temps, la décompensation sera particulièrement violente lorsque le corps ne tiendra plus à force d’être exposé à des tensions inhumaines et déshumanisantes, soit par des arrêts maladie longs, soit, de plus en plus fréquemment, par des passages à l’acte.

Au-delà d’une crise financière évidente, la crise de l’hôpital public agit comme le miroir de l’évolution des sociétés et notamment l’absence de politiques de prévention effectives, tant sur le plan de la santé de proximité tout au long de la vie que sur le plan organisationnel par de vraies politiques managériales et de prévision de l’évolution de l’emploi, dans un domaine où la pénibilité est connue, générant in fine un sentiment de désespoir et de puits sans fond, tant il faudrait en premier lieu réconcilier les professionnels, mieux sensibiliser les usagers et restructurer profondément l’institution. L’instabilité ministérielle des dernières années est l’illustration parfaite d’une crise profonde, participant du désespoir perceptible à tous les niveaux, laissant prospérer en conséquence des comportements toxiques et des pratiques délictuelles sur le plan de la probité et de l’intégrité de la personne.

Plus globalement, le soin s’inscrit dans une gestion de crise permanente, celle de l’accident. S’il est possible de prévoir, par la statistique, un certain nombre de comportements humains, c’est difficilement le cas pour arbitrer sur le nombre de lits et personnels dont un service des urgences doit disposer, dès lors que l’activité de la médecine immédiate fonctionne sur une mécanique de flux hautement imprévisible. Or c’est probablement l’un des secteurs les plus en crise, combiné au désert médical de certaines zones où il faut parfois faire plus de 50 km pour bénéficier d’une médecine d’urgence, la tension étant reportée souvent sur les pompiers dont l’activité est elle-même particulièrement dysfonctionnelle et défaillante.  Il existe, dans les zones rurales, des services de taxi ou d’ambulance privées sous contrat avec les hôpitaux pour assurer le transport aux urgences quand le secteur ne dispose pas d’un hôpital proche, ces services onéreux étant probablement voués à disparaître pour être à nouveau confiés aux services de pompiers sous tension. Il n’y a pas de petites économies et c’est sans compter la casse sociale des entreprises constituées pour assurer une mission de service public qui, du jour au lendemain ne pourront plus avoir de contrat ou travailleront à perte.

Les politiques publiques de santé sont aussi parfois guidées par le fait divers ou la communication politique, ce qui se ressent des années après dans les choix, hasardeux et populistes, faits sur l’instant.

Ainsi en 2005, quand Nicola Sarkozy était ministre de l’intérieur, il avait préconisé la surveillance psychiatrique et psychologique des enfants à partir de 3 ans, comme instrument de détection des futurs délinquants[52]. Le 2 décembre 2008, alors qu’il était président de la République, il lançait un vaste plan de réforme de la psychiatrie à la suite d’un fait divers et du meurtre d’un interne par un patient[53]. En décembre 2020, trois décrets ont autorisé le Ministère de l’Intérieur à recueillir des données de santé mentale sur des personnes « dont l’activité individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat. » Ainsi, les données « relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques » peuvent être retenues comme des facteurs de dangerosité[54]. Alors que la psychiatrie est sous extrême tension, le nouveau gouvernement vient d’annoncer vouloir en faire une priorité nationale, reprenant une proposition de résolution d’avril 2024[55]. En parallèle, le Dr Daniel ZAGURY, éminent expert psychiatre, publiait un ouvrage, véritable cri du cœur « comment on massacre la psychiatrie française » passé relativement inaperçu en dehors du milieu hospitalier et pourtant les constats sont consternants et connus de longue date[56].

Le soin questionne la démocratie, l’Etat de droit et, bien au-delà, la juste vie et la condition humaine.

 

Conclusion

Comment peut-on expliquer l’absence d’indignation généralisée au sein de la population malgré le nombre important d’ouvrages et de rapports ? Pourquoi l’hôpital continue-t-il de fonctionner, même en mode dégradé ? Qu’est-ce qui justifie un tel endormissement ?

Probablement le fait que, parmi le mythe du héros néo-libéral, la vulnérabilité est l’expression des faibles, de ceux qui échouent. A rebours de cette thèse, les célébrités s’expriment de plus en plus sur leurs problématiques de santé mentale mais cette posture reste l’avantage des puissants : un anonyme qui fait état de ses troubles ou de sa pathologie est rejeté, ses assureurs ne le protègeront plus, le déclassement pointe. C’est un phénomène que l’on observe systématiquement en matière de suicide, comme en matière de viol, situations marquées par le sentiment de honte. Il faut cacher les malades, alors que l’exploitation de la vulnérabilité permet pourtant de développer un important marché, probablement l’un des plus rentables. C’est toute l’ironie du néo-libéralisme dans le soin.

L’hôpital public est aussi et surtout un sujet technique, une thématique d’experts ou, probablement que l’on a rendu très technique le sujet pour le faire échapper au débat public. Pourtant, le CCNE précisait dans son avis n°140 qu’il fallait impérativement « renforcer et développer la démocratie représentative en santé, en assurant une représentation large » associant la population et les habitants des différents territoires. Bien au-delà, il rapportait que « l’écoute et la reconnaissance de la dimension morale de la souffrance des soignants comme un problème systémique et collectif résultant de leur expérience au travail est un préalable indispensable pour répondre à leur sentiment de perte de sens[57]. »

Certains étudiants qui échouent en médecine se dirigent souvent vers des études de droit. Ce sont, traditionnellement, les métiers de notables qui font la fierté des familles et la réussite sociale et économique des enfants. Mais bien au-delà, ce sont des professions assez similaires dont l’objet est l’humain. La pratique éloigne pourtant souvent de cet objectif primaire, compte tenu des contraintes très lourdes de chacune de ces cultures professionnelles.

Nos sociétés gagneraient à réintroduire les apprentissages de l’éthique et de la philosophie dans les métiers de l’humain : « la visée de l’acte médical, moins claire qu’il n’y paraît, y est réfléchie : soigne-t-on pour guérir, pour apaiser des souffrances, pour rendre le cheminement vers la mort moins pénible, pour répondre à une attente ou un désir qui ne relève pas d’une pathologie mais requiert un savoir-faire médical ? Ces dimensions (…) engagent des considérations éthiques, politiques et parfois juridiques. Elles sont envisagées dans le cadre de la relation entre le médecin et son patient et, au-delà du colloque singulier entre ces derniers, comme pratiques engageant des choix de société, des politiques de santé et des décisions législatives.[58] »

L’issue viendra probablement du développement de la conscience politique de chacun des personnels soignants et paramédicaux, dans une dialectique d’indignation et de résistance collective. Tout semble réuni pour une véritable révolution. L’hôpital souffre d’un fonctionnement bureaucratique et autocrate, la crise l’empêche de se relever, l’association de l’ensemble des personnels à la décision et à l’œuvre commune pourrait, déjà, restaurer une confiance très dégradée. Les équipes doivent coopérer et construire une nouvelle solidarité, à l’image de celle que l’on aimerait retrouver dans la population en général et qui fait la grandeur d’un service public efficient. Car il n’est pas question de statistique, mais d’humain, cette donnée essentielle qui reste dans l’ombre et qui n’attend que de revenir, enfin, à la lumière.

Le temps est venu de résister.

 

[1] « On ne peut plus aujourd’hui ignorer les règles éthiques et juridiques de la recherche sur l’être humain », Tribune de Philippe AMIEL, Le Monde 30 mai 2023

[2] Destruction de l’Etat, Ecole, hôpital, industrie, énergie, sécurité, diplomatie, Maroun EDDE, BOUQUINS Essai

[3] « Le casse du siècle, A propos des réformes de l’hôpital public », Pierre-André JUVEN, Frédéric PIERRU, Fanny VINCENT, Ed. Raisons d’agir, 2019

[4] « Philosophie de la médecine, Frontière, savoir, clinique », Textes recueillis par M. GAILLE,  Ed. VLIN, 2011, p.13

[5] Avis 145 du comité consultatif national d’éthique en date du 28 mars 2024 « Le cadre de l’évaluation éthique de la recherche clinique – Favoriser la recherche clinique sans affaiblir la protection des personnes »

[6] Cette pratique extrêmement répandue, totalement tue, prend naturellement une tout autre tournure à l’heure du procès dit de MAZAN et du viol sous la contrainte chimique. Sur ce terrain-là aussi, les mentalités vont devoir changer, avec l’espoir que ce type de drame puisse mettre fin à ces pratiques.

[7] A ce sujet, l’ouvrage « Les marchands de doute » fait la démonstration de l’influence de certains experts scientifiques aux Etats-Unis ayant orchestré la controverse sur des sujets de santé publique comme le tabagisme ou la problématique du réchauffement climatique afin de favoriser certains grands industriels. « Les marchands de doute », Naomie ORESKES et Erik M. CONWAY, Ed. le Pommier 2012

[8] Il existe bien un outil déclaratif piloté par le Ministère de la santé « Transparence santé public », néanmoins la directive européenne sur le secret des affaires prive l’accès à un certain nombre de données financières pourtant d’intérêt public. La question est particulièrement sensible dans le cadre de l’immixtion d’agents et d’argent publics. Voir en ce sens « Conflits d’intérêts : l’impossible accès aux contrats conclus entre les laboratoires et les médecins », le Monde, 30 septembre 2020

[9] Les multiples variations de nom, au gré des successions de ministres, témoignent de l’importance plus ou moins importante accordée par l’exécutif au soin : sous le dernier gouvernement, le ministère avait été fusionné dans un grand ministère du travail. Au cœur du néo-libéralisme, le travail et le soin sont des données secondaires, des charges dans le budget de l’Etat, ce que BOURDIEU qualifiait de « main gauche » de l’État

[10] Bien que le dernier gouvernement ait, dans un premier temps, omis de nommer un ministère dédié au handicap… « Le handicap écarté des intitulés des ministères, les acteurs du secteur inquiets », Libération 22 septembre 2024

[11] Ce dispositif est pourtant souvent source de contentieux ou difficilement mis en œuvre faute de moyens ou de collaboration inter fonctions publiques, malgré la forte volonté des acteurs sociaux du secteur.

[12] La question était ainsi posée par le philosophe Jürgen Habermas d’une part sur l’analyse de la morale d’une institution comme devant conduire à faire le bien, d’autre part sur le rôle de la philosophie à déterminer ce qu’est une « juste vie » : « en vérité, la théorie morale paie très cher la division du travail avec une éthique qui est spécialisée dans les formes de la délibération existentielle sur soi-même. Elle brise par là en effet le lien qui seul fournit aux jugements moraux la motivation à agir comme il faut. Les institutions morales n’obligent effectivement la volonté que dès l’instant où elles s’inscrivent dans une compréhension éthique de soi qui attèle le souci que l’on a de son propre bien-être à l’intérêt pour la justice. » Selon le philosophe, ni la déontologie ne permet d’expliquer pourquoi nous devons être moraux, ni les théories politiques de conduire les citoyens à choisir le bien plutôt que la rationalité « fins-moyens ». « L’avenir de la nature humaine, vers un eugénisme libéral ? », Jürgen HABERMAS, nrf essais Gallimard, 2001

[13] Il convient de citer la mort dramatique de Naomi MUSENGA en décembre 2017 : une régulatrice du SAMU 67 n’ayant ni pris au sérieux son appel ni sa souffrance a été condamnée à 1 an de prison avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Elle avait opposé, pour sa défense, le fait que chaque appel, compte tenu de la cadence, était vécu comme une agression..

[14] « Neurosciences un discours néolibéral, Psychiatrie, éducation, inégalités », François GONON, Ed Champ social, 24 sept. 2024

[15] « Fondements philosophiques de l’éthique médicale » Suzanne RAMEIX, Ellipses

[16] « Loi « Immigration » : le Sénat adopte la suppression de l’aide médicale de l’Etat pour les sans-papiers », le Monde 7 novembre 2023 ou encore tribune « nous, professionnels de santé, appelons à nouveau à la défense de l’aide médicale de l’Etat », 15 avril 2024

[17] Le rapport sénatorial du 29 mars 2022 fait état de 30 à 40% de vacances de postes de praticiens hospitaliers et de nombreuses dérives dans le recours à l’intérim médical – page 127

[18] Cette affaire du suicide d’une infirmière à l’hôpital du HAVRE en 2016 est symptomatique des blocages opérés par le juge administratif, confortant des pratiques illégales au sein des établissements de santé, dans le but, probablement, de contrôler l’octroi de dommages-intérêts en pareilles situations qui tendent, malheureusement à se répéter. Ainsi, les ayants-droits avaient obtenu près de 360.000 euros de dommages-intérêts en première instance pour manquement à l’obligation de protection, la cour administrative d’appel de DOUAI infirmant la décision et considérant que l’établissement n’avait commis aucune faute…ramenant les dommages-intérêts à la somme de 100.000 euros. La faute pour manquement à l’obligation de protection de la santé et de la sécurité des agents, en droit de la fonction publique, n’est quasiment jamais reconnue, ce qui entraîne de facto la protection de la haute fonction publique et des administrations employeurs en général. La pratique par le juge correctionnel est en revanche conforme à la loi, même si les poursuites sont encore complexes, du fait de l’irresponsabilité pénale de l’Etat en tant que personne morale. « La justice estime que l’hôpital du Havre n’a commis aucun manquement après le suicide d’une infirmière en 2016 », Paris Normandie, 15 décembre 2022

[19] « Le normal et la pathologique », Georges CANGUILHEM, PUF, 1943

[20] Normal et pathologique p. 102

[21] Lire notamment « L’avenir de la nature humaine, vers un eugénisme libéral ? », Jürgen Habermas 2001. A propos de la « querelle déclenchée par la technologie génétique : la philosophie a-t-elle le droit de défendre la même retenue à propos de questions relatives à l’éthique de l’espèce humaine (ou du genre humain) ? » p.7

[22] « Philosophie de la médecine, Frontière, savoir, clinique », Textes réunis et présentés par VRIN, 2011

[23] « L’accent mis sur la perception de la maladie par le malade est l’importance donnée à un savoir moral concret recèle parfois une dimension militante dans l’époque qui est la nôtre : il s’agit alors de mettre l’accent sur la parole du patient et son vécu de malade dans un contexte jugé peu propice à la compréhension de l’expérience de la maladie par des équipes médicales qui travaillent d’une manière jugée trop rapide et trop fragmentée en raison de la spécialisation des savoirs. » Philosophie de médecine, Tome 1, VRIN, page 28

[24] La chaine Arte a diffusé en 2024 un documentaire particulièrement éclairant sur l’histoire du capitalisme américain, démontrant ainsi comme les intérêts privés des grands industriels notamment ont pu interpénétrer l’Etat y compris instrumentaliser la loi afin d’éliminer toute concurrence et toute entrave à la recherche de nouveaux profits. Cette série reprend ainsi l’histoire du capitalisme, y compris la fabrique de réclames et mythes collectifs dont l’objectif final reste strictement économique. « Le capitalisme américain – Le culte de la richesse » https://campus.arte.tv/serie/capitalisme-americain-le-culte-de-la-ric

[25] « Or après quarante années d’applications diverses et variées que retracent plusieurs contributions de cet ouvrage, il devient possible de tirer un bilan plus factuel du NPM. Ainsi, Christopher Hood et Ruth Dixon analysent les données longitudinales relatives aux dépenses de fonctionnement, aux coûts de recouvrement des impôts et à la masse salariale dans l’administration centrale en Grande-Bretagne entre 1980 et 2010. Ils montrent que – sur la période correspondant à l’acmé du NPM, de surcroît dans un des pays iconiques de sa mise en œuvre – il n’existe pas de preuves tangibles de réduction des coûts ni d’augmentation de l’efficience. La promesse de faire plus avec moins grâce aux outils du secteur privé et à la régulation marchande aurait abouti à « faire un peu moins bien, pour un peu plus cher ». » En finir avec le New Public Management », sous la direction de Nicolas MATYJASIK et Marcel GUENOUN, Gestion publique, IGPDE, 2019

[26] Circulaire du 23 février 1989 relative au renouveau du service public

[27] Lire par exemple « Le grand mythe, comment les industriels nous ont appris à détester l’Etat et à vénérer le libre marché, Naomi ORESKES et Erik M. CONWAY, 2023

[28] Présentation de l’ouvrage de François GODON précité

[29] Rapport sénatorial du 29 mars 2022, page 129

[30] Loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires

[31] « La destruction de l’Etat, Ecole, hôpital, industrie, énergie, sécurité, diplomatie… », Maroun EDDE, Bouquins Essai

[32] « L’hôpital en crise : origines et propositions », Académie nationale de médecine, 12 février 2019

[33] Cette affaire a donné lieu à la condamnation de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la directrice générale de l’hôpital et trois PU-PH pour harcèlement moral par le tribunal judiciaire de PARIS dans un jugement du 15 novembre 2023. L’affaire est toujours en cours, quatre des mis en cause ayant interjeté appel.

[34] Ce terme fait référence également au film « Un grand patron » réalisé par Yves CIAMPI en 1951, dépeignant ainsi la sociologie des professeurs de médecine et praticiens hospitaliers

[35] Voir notamment « Le chef des urgences et un autre médecin mis en examen pour agressions sexuelles au centre hospitalier de Vendôme », Le Monde dépêche AFP 19 juillet 2024

[36] Rapport sénatorial 2022, page 149

[37] Selon un sondage réalisé par l’intersyndicale nationale des internes, 47% des sondés indiquent vivre du sexisme au quotidien.

[38] « A la folie », Joy SORMAN, pp. 94-95

[39] « Excel m’a tuer, l’hôpital fracassé », B. GRANGER, Ed. Odlie Jacob, mai 2022

[40] Ibid p.40

[41] Pages 68-69

[42] CE 27 septembre 2021, n°440983 : « Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. Sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent. »

[43] « Une dérive bureaucratique, administrative incomprise dont témoigne la multitude de textes de lois, décrets, circulaires donnant le sentiment d’une instabilité réglementaire : 25 lois santé depuis 1976, 230 circulaires en 2013 dont certaines de plus de 300 pages et, dans la période récente, 135 articles pour la loi HPST de 2009 et 227 articles pour la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. Cette gestion administrée ne prend pas en compte les spécificités et les richesses régionales. » Rapport ANM page 112

[44] Rapport ANM page 111

[45] « Crise de l’hôpital public ou crise du système de soins ? », Roland CASH, Les tribunes de la santé n°71 – Hiver 2022 : « La T2A n’est pas un outil de rationnement mais de répartition de l’Ondam hospitalier dans les secteurs où elle s’applique. Ce n’est pas elle qui induit une pression sur les salaires ou qui multiplie les postes vacants. Les « responsables » sont, d’une part l’évolution de l’Ondam et, d’autre part, une gestion imparfaite des ressources humaines en santé. Par contre, la T2A produit certaines incitations, comme tout mode de financement. »

[46] Rapport sénatorial n°587 fait au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France en date du 29 mars 2022, pp.75-

[47] Lire en ce sens le rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) du 26 mai 2021

[48] Rapport sénatorial n°587 fait au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France en date du 29 mars 2022, pp.42 à 45

[49] Rapport sénatorial n°587 fait au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France en date du 29 mars 2022, p 27

[50] « Le fonctionnement de l’hôpital repose encore trop souvent sur la bonne volonté des personnels et sur une morale du dévouement qui induit un contournement fréquent des obligations légales et réglementaires ». Rapport du sénat précité, page 129

[51] Lire à ce sujet l’excellent essai d’Emilien RUIZ « Trop de fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française (XIXe – XXIe siècle) », Ed. Fayard, l’épreuve de l’histoire, 2021

[52] « Quand Sarkozy voulait détecter les troubles du comportement chez l’enfant », Le Nouvel Obs 3 décembre 2008 – Le réalisateur engagé Nicolas SILHOL avait d’ailleurs réalisé un court-métrage dystopique sur ce projet

[53] https://www.vie-publique.fr/discours/173244-declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-la-re

[54] Articles R236-1 et suivants du code de la sécurité intérieure

[55] Proposition de résolution n°2531 en date du 26 avril 2024 invitant le gouvernement à ériger la santé mentale en grande cause nationale pour 2025.

[56] « Comment on massacre la psychiatrie française », Daniel ZAGURY, Edition de l’Observatoire, 2021

[57] Avis 140 CCNE du 20 octobre 2022 « Repenser le système de soins sur un fondement éthique, leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives »

[58] Philosophie page 24