Le décret n° 2002-682 du 29 avril 2002 relatif aux conditions générales d’évaluation, de notation et d’avancement des fonctionnaires de l’État a marqué la première étape d’une évolution considérable en matière de management des ressources humaines dans la fonction publique. En effet, ce décret a permis l’instauration d’un entretien professionnel conduit par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire et donnant lieu à un compte-rendu. Au départ couplé à un système de notation chiffrée, cet entretien s’est ensuite généralisé pour être expérimenté seul. Concrètement ont été concernées la fonction publique d’État (2007-2011), la fonction publique territoriale (2010-2012) et la fonction publique hospitalière (2011-2013). Ces périodes d’observation pour la mise en place de l’entretien professionnel devaient conduire à terme à une harmonisation des modalités d’évaluation des agents publics.

À ce jour, l’état du droit est le suivant :

–       dans la fonction publique d’État : l’entretien professionnel a été généralisé depuis janvier 2012

–       dans la fonction publique territoriale : l’expérimentation de l’entretien professionnel a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2014

–       dans la fonction publique hospitalière : les établissements concernés peuvent recourir à un entretien professionnel à titre expérimental, et un bilan doit être présenté au Parlement avant le 31 juillet 2014.

L’évolution amorcée en 2002 aurait dû faciliter l’instauration d’un système d’évaluation efficace, largement inspiré de celui en vigueur dans le secteur privé pour mesurer objectivement et précisément la valeur professionnelle des agents. Toutefois, les quelques années écoulées démontrent que le mécanisme, loin d’être au point, présente de nombreuses limites pouvant même conduire à certaines dérives.

  1. Principe et objectifs de l’entretien professionnel

 L’objectif initial de l’entretien professionnel était de contribuer à individualiser davantage la gestion de carrière des agents, le système antérieur de notation chiffrée n’ayant pas donné pleinement satisfaction.

 C’est pourquoi a été envisagée l’instauration d’un dialogue entre l’agent évalué et son évaluateur, visant en principe une discussion constructive au sujet de l’exercice professionnel, de l’implication dans le travail ou encore des attentes de l’agent comme de celles de l’administration.

Tout l’intérêt a été d’accorder un espace de parole au fonctionnaire afin de favoriser sa participation active au déroulement de sa carrière, pour lui donner par exemple l’opportunité d’exposer ses besoins en formation ou encore les difficultés rencontrées au cours de l’année dans l’accomplissement de ses missions.

Perçu comme un facteur de valorisation professionnelle et individuelle, l’entretien professionnel devait favoriser une appréciation éclairée et personnalisée de l’agent, en vue notamment de lui attribuer une réduction-majoration d’ancienneté pour l’année. Le compte rendu établi est en effet pris en compte pour l’avancement d’échelon, de grade ou la modulation indemnitaire. C’est dire toute l’importance que revêt cet entretien professionnel qui, utilisé à mauvais escient voire détourné, peut avoir des conséquences irréversibles sur la carrière de l’agent concerné.

Dans chaque fonction publique, un décret est venu préciser les modalités de l’entretien professionnel. Ainsi, que ce soit dans la fonction publique d’État (décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010), dans la fonction publique territoriale  (décret n° 2010-716 du 29 juin 2010) ou dans la fonction publique hospitalière (décret n° 2010-1153 du 29 septembre 2010), l’entretien en question doit porter principalement sur : les résultats professionnels obtenus par l’agent eu égard aux objectifs qui lui ont été « assignés » ou « fixés », les objectifs à venir, la manière de servir, les acquis de l’expérience professionnelle et les perspectives d’évolution. Sont aussi évalués, s’il y a lieu les aptitudes de l’agent aux fonctions d’encadrement, ainsi que ses besoins en formation.

Une procédure spécifique a été définie qui prévoit : des délais, le visa de l’autorité hiérarchique ou de l’autorité investie du pouvoir de nomination, ainsi que des possibilités de recours pour le fonctionnaire qui souhaiterait obtenir la révision de son évaluation.

On aurait pu penser qu’un tel encadrement préviendrait les dérives déjà dénoncées au sujet de la notation chiffrée, alors que le bilan de ces quelques années d’expérimentation est plus mitigé. Accusé parfois de servir des intérêts particuliers, voire même d’engendrer une certaine forme de « clientélisme », l’entretien professionnel révèle à ce stade quelques carences et inconvénients. Ces derniers incombent très certainement à l’imprécision des textes qui rendent possibles les abus de certains supérieurs hiérarchiques. De fait, la pratique démontre que l’entretien peut être instrumentalisé pour servir des intérêts privés au détriment de ceux de l’agent concerné et plus largement de l’intérêt du service.

  1. Le risque d’instrumentalisation aux fins de harcèlement

Le risque inhérent à l’entretien professionnel réside dans l’arbitraire du supérieur hiérarchique direct qui, par le biais du compte rendu qu’il établit, peut facilement formuler des observations dégradantes, infantilisantes, voire discriminatoires, et porter ainsi une atteinte directe à la carrière d’un agent avec qui il entretient de mauvaises relations.

À titre d’exemple, on peut évoquer certaines petites remarques écrites, en apparence anodines, mais qui replacées dans leur contexte témoignent en réalité de l’acharnement du supérieur hiérarchique envers son agent. Un autre procédé que constitue la répétition mot pour mot, d’une année à l’autre, de la même appréciation peut manifester l’intention de signifier l’absence d’évolution professionnelle, manière de mieux dénigrer l’agent concerné. Enfin, et pire encore, il est arrivé que le compte rendu remis à l’agent soit différent de celui versé au dossier administratif personnel, attestant dès lors d’une indéniable manipulation de la part du supérieur hiérarchique.

Ainsi, la seule lecture des entretiens professionnels d’un agent sur plusieurs années est riche d’enseignement. Mises en perspectives, les différentes évaluations peuvent même constituer la preuve d’un harcèlement moral.

Heureusement, des possibilités de recours ont été envisagées. Ainsi, l’agent qui le souhaite peut demander une révision de son entretien professionnel auprès de l’autorité hiérarchique, de l’autorité territoriale ou de l’autorité investie du pouvoir de nomination selon le cas. Cette demande de révision doit être présentée dans un délai de quinze jours francs suivant la notification du compte rendu l’entretien. L’autorité saisie dispose à son tour d’un délai de quinze jours pour répondre.

Par la suite, la commission administrative paritaire peut également être saisie. Cette procédure présente néanmoins ses propres limites puisque : d’une part, les membres de la commission administrative paritaire ne connaissent pas l’agent concerné et sont donc incapables de juger de sa valeur professionnelle, d’autre part, les commissions administratives paritaires ne peuvent que « proposer » ou « demander » la modification du compte rendu de l’entretien professionnel, sans disposer d’aucun pouvoir réel de décision en la matière.

Bien souvent, il sera donc conseillé à l’agent, après la saisie préalable de l’autorité supérieure, soit par le biais d’un recours en révision soit par le biais d’un recours gracieux, de présenter directement un recours pour excès de pouvoir contre le compte rendu de l’entretien professionnel modifié ou non. Ce recours pourra être accompagné de conclusions indemnitaires visant à obtenir réparation du préjudice subi tant sur les plans professionnel que personnel et de carrière.

Il convient de préciser qu’en pareille matière, le juge administratif n’opère  qu’un contrôle restreint. Il ne censurera donc que les erreurs manifestes d’appréciation commises dans l’évaluation du fonctionnaire.

En conclusion, si l’expérimentation de l’entretien professionnel a pu constituer une avancée intéressante sur le plan théorique, dans la pratique, les résultats sont moins positifs et les risques d’arbitraire persistent. Il reste donc à espérer que le bilan qui doit être dressé d’ici 2015 définisse les indispensables aménagements de cet entretien et apporte les précisions visant à éviter les dérives constatées.

Léa POIGNET