Dans un arrêt remarqué du 31 janvier 2008, la 1ère chambre de la Cour de Cassation avait énoncé qu’un avocat n’engage pas sa responsabilité en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant (en l’espèce, un établissement bancaire belge avait accordé un prêt alors qu’il ne disposait pas de l’agrément du comité des établissements de crédit, ce fait n’entraînant cependant pas la nullité du contrat de prêt et n’ayant de facto pas été soulevé au soutien des intérêts de l’emprunteur).
Dans un arrêt récent en date du 14 mai 2009, la 1ère chambre va plus loin.
Dans un premier temps, la Haute juridiction reprend le principe énoncé dans son arrêt du 31 janvier 2008, confortant sa position.
Puis la Cour précise dans un attendu surprenant de contradictions que « toutefois, tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client et investi d’un devoir de compétence, l’avocat, sans que puisse lui être imputé la faute de n’avoir pas anticipé une évolution imprévisible du droit positif, se doit de faire valoir une évolution jurisprudentielle acquise dont la transposition ou l’extension à la cause dont il a la charge a des chances sérieuses de la faire prospérer ».
Cet arrêt crée pour l’avocat une nouvelle obligation déontologique, partant liant sa responsabilité professionnelle, à savoir le devoir de compétence.
Conformément à cet arrêt, ce devoir s’expliquerait par l’obligation pour l’avocat de suivre la jurisprudence favorable au soutien de sa thèse pour la défense des intérêts de son client, quand cette jurisprudence est acquise et ce dans le but de la voir prospérer.
Se pose d’une part le problème de cette nouvelle obligation qui fera certainement l’objet d’un développement ultérieur par la Haute Juridiction.
Se pose également la question de la collaboration des différents intervenants dans la chaîne judiciaire, en l’espèce le juge, énonçant un principe, et l’avocat, portant ce principe afin de le voir prospérer.
Plus dérangeante est l’obligation imposée à l’avocat de devoir anticiper l’évolution jurisprudentielle et prendre pour acquise, comme constituant le droit positif, la jurisprudence récente de la Haute Juridiction, au même titre qu’un texte de loi impossible à contourner.
Il paraît nécessaire de rappeler l’étymologie du terme jurisprudence et le contour légal qui lui est donné en droit français.
Jurisprudence signifie « dire le droit avec prudence », prudence étant entendu comme l’une des vertus cardinales, largement développée et commentée par Aristote (lire sur ce point “La prudence chez Aristote” – Pierre AUBENQUE, PUF). Selon ces développements, la prudence dans l’art de dire le droit nécessite à la fois la prise en compte de la règle mais également d’une part de sagesse qui a pour objectif d’adapter la règle au cas d’espèce dans un souci de justice et de vérité relative.
L’article 5 du code civil dispose qu’il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises.
Historiquement, cet article visait à mettre fin aux arrêts de règlement des Parlements avant la Révolution et parachevait la création du Tribunal de cassation, instance visant à harmoniser l’interprétation du droit par les tribunaux.
Mais pour autant, la Haute Juridiction peut elle se prévaloir de principes figés, quand on sait qu’un revirement de jurisprudence peut agir rétroactivement et être totalement préjudiciable pour le justiciable (cf. rapport de Nicolas MOLFESSIS sur le revirement de jurisprudence)?
Et qu’en est-il de la responsabilité de l’avocat qui se sera prévalu d’un principe « acquis » de jurisprudence, principe qui sera peut-être remis en cause dans un arrêt ultérieur?
Comment faire la différence entre un arrêt d’espèce et un arrêt de principe, sur quelle jurisprudence l’avocat doit-il se baser et quelle marge de manœuvre laisser alors à l’interprétation d’un nouveau cas d’espèce?
Cet arrêt démontre s’il était besoin, l’importance que la Cour de Cassation entend donner aux principes qu’elle énonce. Il reste cependant à strictement encadrer l’évolution de cette démarche pour l’ensemble des professions du droit et au sens plus large de ses acteurs que sont le législateur, le juge qui précise les contours de la loi et l’avocat, qui doit faire le tri dans l’ensemble des outils (textes et jurisprudences) à sa disposition au soutien des thèses qu’il développera devant les tribunaux et que la Cour de Cassation désigne aujourd’hui comme son « devoir de compétence ».