Après les référés, procédures d’urgence introduites par la loi n°2000-597 du 30 juin 2000, le décret n°2023-10 du 9 janvier 2023 relatif aux procédures orales devant le juge administratif entend renforcer l’oralité d’une instruction traditionnellement écrite devant l’ensemble des juridictions administratives. Il pérennise et élargit l’expérimentation de 18 mois de l’instruction orale des affaires devant le Conseil d’État mise en place par le décret n°2020-1404 du 18 novembre 2020.

Modifiant le chapitre V du titre II du livre VI de la partie règlementaire du Code de justice administrative, la formation de jugement de la juridiction administrative saisie « peut tenir une séance orale d’instruction » soit en complément de l’instruction écrite (article R.625-1) soit en audience publique d’instruction « au moins une semaine avant la séance de jugement » de l’affaire en question (article R.625-2).

Sur le modèle des audiences de mise en état ou de fixation, ce nouveau pouvoir tend à aligner la procédure administrative sur la procédure judiciaire et a pour objectif de contribuer  à « rendre des décisions plus justes et pragmatiques » comme l’a souligné le Conseil d’État dans son communiqué de presse du 27 octobre 2020.

Si le décret précise l’objet de ces séances orales, à savoir « entend[re] les parties sur toute question de fait ou de droit dont l’examen paraît utile » notamment en « convoquant toute personne dont l’audition paraît utile », le texte reste silencieux sur la mise en œuvre concrète de ces séances orales d’instruction.

Ces nouvelles dispositions soulèvent néanmoins des interrogations assez légitimes sur le calendrier procédural, les modalités de communication des observations des parties, les opportunités de mise en oeuvre ainsi que les moyens humains mis à disposition par les juridictions.

En effet, au regard d’une justice déjà considérée comme assez lente, ces séances devront améliorer la qualité des décisions tout en respectant le délai raisonnable de jugement, au risque d’engager la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public (CE Ass. 28 juin 2002 requête numéro 239575 Min. de la justice c/ Magiera), d’autant plus que le délai d’une semaine avant l’audience publique d’instruction (article R.625-2) pourrait conduire à un report de date d’audience en fonction de l’importance de la question de fait ou de droit posée.

On peut légitimement penser que le juge administratif réservera ces séances orales à des matières telles que le droit des marchés publics/affaires publiques ou le droit de l’environnement pour lesquels l’enjeu, la technicité voire la multiplicité des acteurs nécessitent d’entendre différentes parties. Mais selon quel principe, sans pratique d’élitisme vis-à-vis de certaines procédures plus médiatiques, quand le quotidien, sans enjeux pécuniaires, peut nécessiter une telle procédure et est tout aussi technique?

Aucune indication n’est donnée quant à la forme des réponses que les parties devront apporter aux questions de la juridiction, à la mise en œuvre du contradictoire ou aux conséquences en cas d’absence de réponse. Le décret ne précise pas non plus si les parties pourront en faire la demande notamment par le biais de demandes accessoires. Il s’agirait ainsi de trancher, peut-on comprendre, les moyens d’ordre public, transmis par écrit, pour éviter de nouvelles productions de mémoires, mais qu’en sera-t-il de la consignation des arguments échangés à l’oral, devant une juridiction qui garde somme toute le tempo de ce qu’elle estime ou non nécessaire à la communication, en violation des exigences de contradictoire que l’on peut avoir en procédure civile et en procédure pénale?

Il existe une certaine ironie à l’édiction et mise en œuvre d’un tel décret qui dénote, c’est peu de le dire, avec les pratiques de la juridiction administrative. En effet, le temps déjà prévu pour l’oralité lors des audiences est très souvent entravé par des remarques assassines administrées aux avocats sur le caractère écrit des procédures lorsque les observations orales dépassent quelques minutes. Par ailleurs, le juge administratif dispose déjà de pouvoirs d’instruction élargis, notamment dans le cadre de l’examen du harcèlement moral, qu’il ne met strictement jamais en œuvre.

Le décret précise ainsi que la formation peut, lorsqu’elle l’estime utile, entendre les parties. Le caractère d’utilité sera ainsi soumis à interprétation des magistrats uniquement, alors que des dossiers relevant d’une dimension dite « subjective », à savoir les relations ou l’organisation du travail sont, par nature, humains et gagneraient à davantage d’oralité pour personnifier les contentieux, en répondant aux attentes des justiciables dans leurs litiges avec des administrations qui managent également par l’écrit.

Si la démarche est à saluer en ce que le juge administratif pourrait ainsi s’ouvrir vers une procédure plus humanisée, en particulier dans les dossiers de fonction publique où il est souvent question de personnes et d’exercice de l’autorité hiérarchique, elle n’en reste pas moins curieuse sur son essence et ses modalités, alors même que les juges déjà investis de pouvoirs étendus d’oralité et d’enquête ne les appliquent jamais.

Enfin, la période sanitaire et l’engorgement des stocks ont entraîné, pour certaines juridictions, le renvoi parfois systématique de dossiers de fonction publique soit en médiation, soit allant jusqu’à les traiter par simple ordonnance de tri, en durcissant la voie d’accès aux référés suspension par une appréciation sévère de la condition d’urgence, ou encore en restreignant la voie d’accès aux référés-libertés qui ne sont audiencés que dans des cas très exceptionnels, sans parler du respect du délai de 48h.

L’intention du législateur est noble, mais comme pour nombre de dispositions, le budget alloué à la mise en œuvre de tels textes ne suit pas et promet d’ouvrir des débats dans le débat, dans un temps toujours limité car…la procédure reste écrite !