Je m’appelle Christelle Mazza, je suis avocate au Barreau de Paris depuis près de 20 ans. Ce matin je me suis réveillée en apprenant que les Etats-Unis avaient bombardé l’Iran. Cela fait plusieurs mois que je travaille sur le texte qui va suivre, j’ai déjà publié une tribune il y a un an sur les justes et le devoir de désobéissance, je vois le monde s’effondrer, comme beaucoup je me sens impuissante mais aujourd’hui, je revendique le droit d’oser et de ne plus me taire.
En janvier 2025, Elon Musk puis quelques autres après lui ont reproduit un salut nazi.
L’état de sidération plonge dans une forme d’auto-censure ou de repli individualiste : il est temps de se réveiller, et vite.
La vraie question c’est…que pouvons-nous faire ?
Analysons et repérons quelques signaux : l’utilisation de la terminologie « déporter », la stigmatisation des minorités, là où se nichent la liberté et la dissidence, une vision masculiniste et nataliste, la diminution drastique des droits des femmes, la violence, la transgression, la provocation, l’humiliation, l’intimidation, une société spectacle sans aucune morale, les rafles et surtout l’exploitation des peurs archaïques et des lâchetés humaines.
Il paraissait impossible d’imaginer que l’horreur du fascisme pouvait être susceptible de se reproduire. Et pourtant, les guerres récentes ont montré les limites de l’ordre international d’après-guerre.
Comment protéger l’humanité d’un scénario aussi effrayant au moment où on célèbre les 80 ans de la libération des camps de la mort ?
Tout le monde n’a pas le courage de lutter par peur de perdre ses proches ou sa situation économique, d’être impuissant aussi, alors gagnent la résignation et le désespoir. Mais c’est de la solidarité que naissent les grandes utopies, celles qui nous protègent et que l’on regroupe sous le terme de droits humains.
A tous ceux qui soignent, écoutent et se battent pour un monde meilleur ne vous résignez pas. A ceux qui hésitent et qui doutent, trouvez les personnes inspirantes qui vous donneront l’envie et la force de dénoncer et de résister. A ceux qui pensent que la domination est source de pouvoir, n’oubliez pas qu’après le temps de la gloire survient toujours celui la chute et qu’à ce moment-là, les droits humains seront là pour examiner les consciences et comprendre, faire que l’horreur ne se reproduise pas.
Depuis 20 ans je lutte contre toute forme de domination et d’humiliation. Cette lutte est de plus en plus dure et frontale dans un monde qui valorise les comportements harcelants et dénigrants.
Le juge administratif, juge naturel des fonctionnaires, ne reconnaît quasiment jamais les situations de domination de l’État car il est constitué, dans son appréhension des relations de travail, par une approche pyramidale fondée sur un devoir d’obéissance militaire: un chef quel qu’il soit ne se conteste pas.
Il suffit que l’administration dise pour que son juge la croit. Ces situations se retrouvent en particulier dans le cadre d’enquêtes internes : les dispositifs de signalement sont dévoyés car ils remettent en cause le système.
Mais tout devient flou sur la notion d’intérêt général. L’intérêt de certains se nourrissant sur la nation, le dévoiement du pouvoir.
Le pays est grevé d’une culture clientéliste et d’entre soi, nourrie de conflits d’intérêts que l’on balaie en disant « c’est comme ça », certaines pratiques sont si répandues qu’elles ne choquent même plus, la résignation est devenue désespoir.
Indignons-nous.
Lentement, la gestion du service public a basculé, n’ayons pas peur de le dire, dans un mode de fonctionnement totalitaire. Toute forme de dissidence est étouffée, parfois dans des conditions d’une particulière violence.
Ces pratiques séculaires ont creusé le berceau de la situation politique catastrophique que nous connaissons aujourd’hui. Entre l’humiliation, le silence et l’abandon, les peurs archaïques des citoyens sont attisées ce qui sème le chaos.
Il n’est plus possible d’assister en silence à cette démocratie de Bakélite qui brise les plus vulnérables d’entre nous et porte au firmament de la médiocrité tous les opportunistes qui tirent profit du désespoir collectif. C’est une insulte à notre histoire et à notre âme citoyenne.
Comment résister ?
Engagez-vous, construisez des petites actions collectives avec votre famille, vos amis, vos voisins. Prenez soin des personnes isolées ou en souffrance, appelez les plus anciens, faites du bénévolat dans la petite enfance, les Ehpad et les établissements psychiatriques. Cherchez l’empathie et la dignité partout où elles sont. Ne laissez jamais personne se faire humilier dans le métro, dans une salle de classe ou dans une réunion. Ne moquez jamais les autres parce que vous êtes si mal à l’intérieur. Adhérez à des associations reconnues, donnez un peu de temps.
Ne remettez pas au lendemain, indignez-vous tout le temps et maintenant.
La résistance commence par des actes du quotidien et, comme me l’a dit un lanceur d’alerte le jour de la prestation de serment de Trump : par mettre un costume noir.
Dans certains pays, la vidéo que je suis en train de faire me coûterait la vie. Je mesure ma chance et j’en profite tant qu’il est encore temps, même si l’exercice expose aux critiques, à la haine et aux représailles. Je pense à celles et ceux qui, dans les pays où l’on est moins libre font des actes héroïques.
Je pleure aussi les femmes du monde qui meurent sous les viols, les coups et les humiliations parce qu’elles ont eu du courage ou pour ce qu’elles sont, tout simplement. Je reste debout pour ces guerrières de lumière et constate que souvent, les lanceurs d’alerte sont des lanceuses d’alerte.
La résistance est dans le regard, dans les actes et souvent, dans l’ombre. Ne cherchez pas à briller du bien le plus précieux que vous défendrez, la dignité. Le leurre vendu partout de la course à la vitrine et au storytelling détruit les solidarités qui font l’humanité, ne cédons pas aux sirènes du vide.
Intellectuels et privilégiées, vous avez le devoir d’ouvrir à la connaissance et de donner à d’autres, moins chanceux, les lumières que la connaissance vous a apporté. Certainement pas de manipuler le savoir ou le contenir pour accéder et conserver le pouvoir.
A force de jouer avec les notions elles deviennent floues.
Tout devient manipulation et manipulable. Il n’y a qu’une seule boussole : la dignité humaine, dans le monde d’ici et maintenant.
Nous avons eu un exemple récemment avec les propos de B. Retailleau sur l’État de droit: il a introduit dans le débat public une notion à laquelle il n’est pas permis de toucher.
La fulgurance de la pensée et de l’opinion empêchent de raisonner, de réfléchir et de créer une culture du dialogue et du désaccord. De la confrontation des idées doit naître une vérité collectivement acceptée. Reconstruisons un espace de débat et de vivre ensemble.
A tous ceux qui pensent qu’ils sont seuls, vous ne l’êtes pas.
Continuons de nous indigner, sans nous résigner.
Les politiques vous déçoivent ? Construisons la force unie de la société civile.
J’appelle tous les défenseurs des droits de l’homme et ceux qui s’y reconnaissent à unir leurs forces pour rappeler qu’il est des notions inaliénables et intangibles la dignité humaine et le respect de l’Etat de droit, rempart contre toute forme d’arbitraire.
J’en appelle aussi au monde de la justice : quand une alerte vous est remontée, ne la traitez pas isolément mais protégez aussi le messager, celui ou celle qui, dans un geste sacrificiel a tout risqué pour la manifestation de la vérité. Les lanceurs d’alerte ne sont pas des victimes qui cherchent vengeance ou reconnaissance, notre monde pénal oublie qu’il est des personnes qui sont prêtes à tout sacrifier au nom de la justice et de l’éthique quand certains magistrats se laissent parfois éblouir par les sirènes des décorations et de la reconnaissance.
La justice est une affaire d’Etat, notre bien le plus précieux.
Nous devons reconstituer la force de l’armée des ombres dans une société qui aime trop la lumière.
A tous les fonctionnaires en colère, tentés par les sirènes de la corruption, je comprends votre déception, votre sentiment de trahison, votre désespoir parfois, mais faut-il a ce point mettre la démocratie en danger ? Il suffirait de signaler collectivement et avec force les comportements inacceptables de certains de nos dirigeants plutôt qu’ouvrir des brèches dans notre système et y laisser entrer le diable.
Il y a des voies de justice possibles.
La seconde guerre mondiale a vu où un projet politique qui semblait aux citoyens allemands frappé de bon sens pouvait aboutir, à la solution finale die Endlösung, la déportation puis l’extermination de millions de personnes juifs homosexuels tziganes… le but était la création d’une population d’êtres supérieurs, la race aryenne, une société idéale sans État car la race pure n’a pas besoin d’être dirigée.
Au-delà de l’instrumentalisation de la science, la médecine s’adonnait à des expérimentations sur des personnes vulnérables, le programme politique a conduit à l’endoctrinement de la jeunesse, à la manipulation de la mémoire collective notamment les œuvres d’art et l’esthétisme antique.
La période actuelle nous permet de relire l’histoire et de mieux comprendre à quel point nos ancêtres se sont battus pour les droits que nous utilisons chaque jour comme s’ils avaient toujours été une évidence ou un acquis.
Ils sont aujourd’hui si fragiles, y compris dans nos rangs, nous, auxiliaires de justice.
J’ai créé il y a quelques mois l’association Salammbô à destination des lanceurs d’alerte de la fonction publique. Nous avons construit des passerelles avec des associations déjà très actives dans plusieurs secteurs de l’administration. Bientôt nous allons déposer en justice un premier dossier et en septembre 2025, nous mettrons en ligne la plateforme de signalement.
J’invite toute personne à nous rejoindre. Il faut aujourd’hui unir nos forces, avec neutralité et impartialité, notre seule boussole doit rester l’État de droit. A tous ceux qui sont dans le système, résistez.
Est probablement venu le temps de l’intime conviction. Fonctionnaires, agents publics, citoyens, à tous ceux qui détiennent le pouvoir de résister et de signaler, à tous ceux qui savent et n’osent pas, demain sera peut-être l’heure d’un choix existentiel. Nous pouvons tous être des justes.
Ici et maintenant.
