Mutation du service public

L’actualité n’a de cesse de mettre en lumière l’effondrement de certains pans du service public, notamment la Justice, l’hôpital public et l’Éducation nationale. Plus largement, après la vague de privatisation des transports et des télécommunications, les États européens ont amorcé une culture néo-libérale, le service public étant régi par le New Public Management.

L’objectif de ces politiques est d’organiser progressivement un désengagement de l’État notamment afin de réduire la dette publique.

Outre le débat idéologique sur la question de l’interventionnisme et de la justice sociale, ces politiques frappent de plein fouet le sort des agents publics et en particulier des fonctionnaires. Souvent envisagés comme une simple ligne budgétaire, ils souffrent d’un manque de considération managérial et d’une politique de ressources humaines prenant en considération à la fois le travail réel et les exigences propres au service public et à l’intérêt général.

Le scandale récent de l’immixtion des cabinets de conseil dans la gestion voire même la réflexion en profondeur de l’essence même du service public met en lumière progressivement la marche amorcée depuis près de 20 ans pour diminuer les effectifs de fonctionnaires.

Le procès France Télécom et la mise en lumière d’une politique d’entreprise d’ampleur afin de dégraisser massivement et violemment les effectifs a valu une condamnation exemplaire et la reconnaissance du mécanisme de harcèlement moral institutionnel.

Le service public, par nature vivant et évoluant avec la société, subit néanmoins depuis quelques années une violente mutation, dont les fonctionnaires, par-delà les usagers, sont les premières victimes.

De très nombreuses questions émergent concernant le statut, les garanties dues aux agents, le droit de la santé au travail et la position du juge administratif, gardien féroce des deniers publics et qui, par une jurisprudence assez anachronique au regard du droit applicable, devient le complice du démantèlement, sans prendre en considération la souffrance individuelle et collective qui en résulte.

La justice étant elle-même un service public en pleine souffrance, les différentes réformes visant à désengorger au maximum les tribunaux laissent peu de place à ces contentieux de l’humain qui nécessitent une analyse profonde, critique, neutre, indépendante et longue.

Au-delà de la transformation des organisations se pose aussi la question de l’accélération permanente de la production, une notion pourtant inconnue dans la fonction publique dès lors que le service public, universel, se caractérise par sa gratuité.

Derrière ces profondes mutations se situe aussi la notion d’intelligence artificielle qui a envahi tous les secteurs, y compris le service public.

Après la grande mutation numérique amorcée dans les années 2000 par internet, l’économie actuelle amorce la révolution 4.0 avec l’introduction de l’intelligence artificielle (IA).

L’IA consiste en une collecte massive de données (le big data) permettant d’élaborer des statistiques de comportements plus ou moins prévisibles, dans le but de rentabiliser la productivité d’un service ou de traiter avec davantage d’efficience des process qui pourraient présenter par nature une dimension automatisée.

L’instrument élaboré pour centraliser les données et en ressortir des outils de calcul de probabilité ou des résultats escomptés est l’algorithme.

Certains parlent même de robots susceptibles de remplacer l’homme au travail pour l’application de certaines tâches.

Pourtant les spécialistes sont bien loin de ces constats.

Si l’intelligence artificielle est remarquable d’efficacité dans les process où l’émotionnel et l’accident ne peuvent pas entrer en ligne de compte, elle ne peut pas organiser les politiques managériales qui par nature sont liées à l’humain.

Pour autant, certaines sociétés ont mis en place ce type de management par le nombre sans prise en considération des contraintes de service, générant souffrance au travail. Ainsi, le modèle de la tarification à l’acte à l’hôpital public est en train de montrer son aspect pervers, de même que la quantification du travail à La Poste (temps calculé pour la distribution du courrier par exemple). Les calculs d’effectifs en parallèle de ces statistiques, sous couvert de lean management, ont ainsi considérablement augmenté les cadences des travailleurs, de même la cadence globale de l’économie stimulée par l’e-commerce et les nouveaux modes de consommation, de sorte qu’on demande de travailler avec un rythme plus soutenu et moins de monde.

Au-delà, l’absence de prise en considération de l’émotionnel, considérée par certaines théories managériales comme superflue au travail, fait que les politiques managériales d’ultra-rentabilité se sont substituées lentement mais sûrement aux réflexions de gestion de carrière en adéquation avec le marché.

Le débat sur « l’ubérisation » de l’économie, posé dans la récente étude annuelle du Conseil d’Etat oblige à concilier un impératif de progrès économique avec la préservation de l’éthique au travail : jusqu’où doit aller la recherche de rentabilité ?

Les réflexions suscitées par le big data interrogent également la question de la préservation des données personnelles, du respect de l’individualité et de l’intimité, à l’heure où les fake news influencent le comportement des opinions ou de la consommation et où les experts alertent sur « les pirates de l’attention » ou comment les réseaux sociaux absorbent la notion de cadence, d’opinion générale et d’originalité.

Quelle est encore la place de l’individu si la société est structurée selon un modèle quantifiable et reproductible ? Quelle est la place accordée à l’élément vulnérable ou fragilisé dans un système favorisant l’automatisation ?

La plupart des services de justice, peu communicants historiquement du fait de leur devoir de réserve particulièrement élevé ont récemment créé des profils sur les réseaux sociaux dont Instagram ou encore Linkedin, jouant des codes de société actuels, pour davantage de transparence sur leurs actions.

La récente mise en demeure adressée par la CNIL au Ministère de l’Éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche pour avoir organisé l’accès aux études supérieures par la seule application d’un algorithme ne prenant pas en considération les spécificités de l’étudiant en tant qu’individu rappelle les notions fondamentales d’éthique et de prise en considération de l’humain dans sa spécificité.

La loi doit protéger, néanmoins les réformes législatives récentes du droit de la fonction publique, par voie d’ordonnance, les textes multiples techniques, épars et complexes que seuls les experts du secteur arrivent à décrypter et lier mettent en danger les garanties des fonctionnaires mais aussi l’essence même du service public.

Outre Noir Avocats, sensibilisé aux questions soulevées par l’intégration de l’intelligence artificielle dans la sphère du travail et la mutation du service public en général conseille et assiste les fonctionnaires et agents, y compris les collectifs de travail dans le cadre des réorganisations d’ampleur et étudie la mise en place des process automatisés au prisme de l’équilibre avec le respect et la protection du capital humain.

Outre Noir Avocats organise par ailleurs des actions collectives afin de défendre l’élaboration des textes, dans le cadre du nouveau dialogue social, afin de protéger les droits des agents titulaires et contractuels dans le cadre de ces réorganisations, y compris dans l’étude et la gestion des risques psychosociaux y afférents.

Au-delà des seules questions posées par le télétravail, la numérisation des tâches ou le progrès offert par l’intelligence artificielle, Outre Noir Avocats réfléchit, avec les acteurs de cette nouvelle révolution, aux conséquences générées sur l’emploi public afin d’associer les travailleurs aux outils mis en place pour les soutenir, sans les remplacer.