Lanceurs d'alerte

La loi a reconnu de longue date un rôle de « sentinelle système » aux fonctionnaires. Leurs prérogatives et missions, en particulier dans le secteur régalien, sont assorties d’obligations déontologiques d’impartialité, de neutralité et de dignité particulièrement élevées.

Dans l’exercice de leurs fonctions, ils peuvent être les témoins de faits délictuels et/ou criminels impliquant des lignes hiérarchiques, des hauts fonctionnaires, des élus et politiques, des subalternes ou des groupes d’agents. Alors que le service public se doit d’être exemplaire, tant il reflète les principes démocratiques et républicains du vivre-ensemble, les fonctionnaires témoins de tels faits se retrouvent souvent pris entre le marteau et l’enclume, à savoir fermer les yeux sur les actes découverts, de peur de subir d’immédiates et violentes représailles, ou dénoncer, sachant que la plupart du temps, ce signalement peut leur coûter leur carrière, voire leur vie personnelle.

La police nationale détient le monopole de la force légitime : l’actualité n’a de cesse de mettre en lumière des situations de violence et débordements à l’encontre des usagers mais aussi au sein de la police elle-même. Au-delà de ces problématiques se pose la question délicate de la gestion de la sécurité intérieure : les policiers se retrouvent en conséquence au cœur de questions politiques sensibles. C’est l’une des professions où les exigences déontologiques sont les plus élevées et où, pourtant, la liberté de parole et de dénonciation des comportements déviants est la plus muselée.

C’est le cas également des fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères qui, au sein d’ambassades ou consulats, ont connaissance de faits de corruption ou détournement de fonds publics, impliquant des hauts fonctionnaires et des fonctionnaires ou politiques locaux, dans des pays au contexte politique très sensible ou qui ne sont pas des démocraties.

Il en est de même au sein de l’éducation nationale, lorsque les enseignants sont témoins d’actes délictuels ou criminels (harcèlement scolaire, pédocriminalité, violences physiques) sur certains enfants et élèves au même titre que les soignants et paramédicaux ayant connaissance, dans l’exercice de leurs fonctions, de violences conjugales.

D’autres fonctionnaires découvrent que des membres imminents de cabinets ministériels ou d’administrations centrales détournent des fonds publics, participent à des actes de corruption ou sont en situation de prise illégale d’intérêts, voire oeuvrent en contradiction avec l’intérêt public.

Certains directeurs ou directrices techniques, au sein des collectivités territoriales, ont connaissance d’actes de concussion, de violation des règles régissant les marchés publics et de collusion hautement problématique entre certains acteurs du secteur privé ou des élus, par exemple dans les situations de financement illicite de campagnes électorales.

Des agents ministériels impliqués dans la mise en œuvre de politiques publiques environnementales, de santé ou touchant aux intérêts de la nation découvrent, au gré du suivi des projets, des conflits d’intérêts majeurs avec le secteur privé, notamment dans les situations de pantouflage.

Au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, les fonctionnaires ont l’obligation de faire un signalement au Procureur de la République s’ils sont témoins d’un crime ou d’un délit.

C’est le cas par exemple des inspecteurs du travail, l’un des signalements les plus connus étant celui de l’inspectrice Sylvie CATALA dans le procès France Télécom, qui a mis à jour un harcèlement institutionnel, à savoir une politique d’entreprise ayant conduit à un nombre important de suicides, dans le but de dégraisser les effectifs.

Dans la pratique, ces signalements sont assez rares. Dans la police par exemple, l’agent qui exercerait ce droit serait immédiatement poursuivi sur le terrain disciplinaire au motif d’un manquement à l’obligation d’obéissance hiérarchique et de loyauté, pour n’avoir pas informé au préalable le supérieur hiérarchique de la démarche, y compris si ce dernier est impliqué dans les faits dénoncés.

En parallèle de ce régime fixé par le code de procédure pénale, la loi française a instauré, sur impulsion européenne, un statut protecteur permettant à tout citoyen de bénéficier d’un régime de protection élevé, dans une démarche de lutte contre la corruption et les violations, par les fonctionnaires et politiques, de leurs obligations déontologiques.

C’est ainsi que la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite Loi Sapin II relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a crée le statut de lanceur d’alerte, après le scandale de l’affaire Cahuzac. En parallèle a été promulguée la loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

Le lanceur d’alerte était défini à l’origine comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte défini par le présent chapitre. »

La récente loi WASERMAN n°2022-401 du 21 mars 2022, transposant la directive 2019/1937 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne, a renforcé et précisé le statut :

« I.-Un lanceur d’alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance.
II.-Les faits, informations et documents, quel que soit leur forme ou leur support, dont la révélation ou la divulgation est interdite par les dispositions relatives au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l’enquête ou de l’instruction judiciaires ou au secret professionnel de l’avocat sont exclus du régime de l’alerte défini au présent chapitre.
III.-Lorsque sont réunies les conditions d’application d’un dispositif spécifique de signalement de violations et de protection de l’auteur du signalement prévu par la loi ou le règlement ou par un acte de l’Union européenne mentionné dans la partie II de l’annexe à la directive (UE) 2019/1937 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, le présent chapitre ne s’applique pas.

Sous réserve de l’article L. 861-3 du code de la sécurité intérieure, lorsqu’une ou plusieurs des mesures prévues aux articles 10-1,12 et 12-1 de la présente loi sont plus favorables à l’auteur du signalement que celles prévues par un dispositif spécifique mentionné au premier alinéa du présent III, ces mesures s’appliquent. Sous la même réserve, à défaut de mesure équivalente prévue par un tel dispositif spécifique, les articles 13 et 13-1 sont applicables. »

En ce que le respect des principes démocratiques et la protection de l’intérêt général sont visés, les fonctionnaires sont les acteurs de première ligne du statut de lanceurs d’alerte et doivent, en conséquence être protégés parfois contre l’Etat lui-même.

Le Cabinet Outre Noir a développé une expertise pointue dans l’accompagnement des lanceurs d’alerte de la fonction publique, que ce soit pour organiser leur signalement ou assurer leur protection procédurale, en cas de mesures de représailles comme le harcèlement moral, les procédures en diffamation et dénonciation calomnieuse, les mutations d’office ou les sanctions disciplinaires.

Afin d’aider les agents publics qui s’interrogeraient sur la conduite à tenir, dans les situations où ils seraient témoins de faits pouvant corrompre l’intérêt général ou tout domaine visé par la loi, Christelle MAZZA a créé l’association SALAMMBÔ, site d’information et d’actualité pour les lanceurs d’alerte de la fonction publique.

Cette expertise est le fruit d’une expérience judiciaire de près de 20 ans au soutien des fonctionnaires et agents publics victimes de harcèlement moral au sein des trois versants de la fonction publique, y compris dans les lieux de pouvoir.