Le 21 février 2024, le Premier ministre a acté par voie réglementaire des coupes massives de crédits annoncés pour le budget de l’État, sur rapport des ministres des finances et des comptes publics.(Décret n°2024-124 en date du 21 février 2024)

Un tableau annexé au décret comporte la liste des budgets pour lesquels les autorisations d’engagement et les crédits de paiement sont annulés.  Le montant total représente 10 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 10,17 milliards d’euros en crédits de paiement dont plus de 780 millions en dépenses de personnel. Presque tous les ministères ont été touchés. Le budget le plus impacté est « écologie, développement et mobilité durable » avec une perte de crédits de paiement de 2,13 milliards d’euros.

Un budget de l’État a bout de souffle

A l’origine de cette coupe drastique ? Une vision trop optimiste du taux de croissance annuel par le gouvernement, ce que nous apprend la lecture de la loi de finances du 29 décembre 2023 pour 2024, soit +1,4% contre la prévision des économistes de + 0,8%. Le taux de croissance est en réalité de +1%.

Bien que le haut conseil des finances publiques ait alerté sur cet écart dans son avis n°2023-8 du 27 septembre 2023, le Gouvernement, sans surprise, n’en a pas tenu compte.

L’annulation de crédits est une mesure classique de régulation budgétaire prévue par la LOLF ( Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances) dans son article 14, aux termes duquel : « un crédit peut être annulé par décret pris sur le rapport du ministre chargé des finances » et ce, « afin de prévenir une détérioration de l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l’année concernée ». Il prévoit également que « le montant cumulé des crédits annulés par décret ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours ».

Toutefois, cette coupe budgétaire de grande ampleur, prise dans l’urgence, sans concertation et de façon totalement inédite, est pour le moins surprenante dans un contexte où la pandémie du Covid-19 n’a pas repris, l’inflation est stable depuis la levée du bouclier énergétique et à ce jour, en dehors des débats politiques récents, il n’y a d’impact mesurable sur l’économie des suites de la guerre en Ukraine.

Au demeurant, ce choix politique du Gouvernement produit un impact délétère sur les services publics déjà grandement affaiblis par la pénurie de moyens et la dégradation continue des conditions de travail des agents publics. Cette mesure engendre également une inquiétante détérioration des droits sociaux des citoyens.

De même, alors que le pays et l’Europe traversent une crise majeure de l’agriculture et que les signaux d’alerte sur les atteintes à l’environnement n’ont jamais été aussi élevés, ces choix budgétaires démontrent le désengagement massif de l’État dans sa branche sociale et environnementale, démarche couplée aux restrictions drastiques engagées sur la sécurité sociale.

Cette mesure aggrave le démantèlement des politiques distributives et sociales (enseignement, recherche, santé et environnement), ce que BOURDIEU qualifiait de « bras gauche » de l’État (le « bras droit » relevant surtout de la sécurité intérieure et du strict régalien)

Enfin et surtout, ce décret illustre une nouvelle fois la volonté du Gouvernement de contourner le contrôle par le pouvoir législatif des questions fondamentales de politiques publiques. A ce titre, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric COQUEREL (LFI) avait demandé à que le gouvernement présente un projet de loi de finances rectificative pour faire adopter par le Parlement ces baisses de crédit.

Le Gouvernement est resté campé sur sa position. Autre forme de 49-3.

Une concordance de montant et de calendrier préoccupante, sur fond d’enquête en cours pour corruption

Quelques jours après, le 27 février 2024, l’Élysée recevait l’émir du Qatar Tamim BEN HAMAD AL THANI qui annonçait un investissement en FRANCE à hauteur de….10 milliards d’euros dans les secteurs de la transition énergétique, des semi-conducteurs, de l’aérospatial, de l’intelligence artificielle, du numérique, de la santé et des industries de la culture.

“Le Qatar s’engage à investir 10 milliards d’euros dans l’économie française d’ici à 2030″ Le Monde 27 février 2024”

Parmi les invités à ce dîner se trouvaient également l’ancien Président de la République Nicolas SARKOZY, le président du PSG Nasser AL-KHELAIFI et le joueur de football Kylian MBAPPE.

Inutile de rappeler le long dossier à tiroirs en cours d’enquête concernant le Qatar, le PSG, l’ancien Président de la République SARKOZY et l’actuelle Ministre de la Culture Rachida Dati…

Ces décisions techniques de finances publiques passent relativement inaperçues et pourtant, elles représentent un engagement politique majeur. La question n’est pas tant d’établir à ce stade ce qui est juste ou non, mais de laisser aux citoyens, dans le cadre de procédures prévues par notre constitution, la possibilité de discuter collectivement de ces choix.

C’est évidemment de moins en moins le cas… Le tout est de la savoir.

Businesspeople grabbing money